Grève SNCF du 12 décembre : pour en comprendre les enjeux

122

Ce jeudi 12 décembre, trois organisations syndicales de cheminots (Cgt, Unsa, Sud) appellent de nouveau à la grève. Un mot d’ordre qui s’inscrit dans la continuation des précédents mouvements sociaux nationaux qui ont affecté l’entreprise publique à la veille d’une réforme législative sur son organisation et sa gouvernance. Nous avons demandé à PAT, notre chroniqueur ferroviaire, de tenter d’analyser tout ça en lisant entre les lignes.

Pour mémoire, Sud appelait déjà isolément à la grève le 16 octobre. Une semaine avant, c’était la Cgt et la Cfdt dans le cadre d’un mouvement européen contre la poursuite des politiques de libéralisation des transports ferroviaires. Se souvenir également de la grève du 13 juin. Voilà pour l’année 2013 qui s’achève… avec la garantie de Guillaume Pepy qu’il n’y aura pas de grève pendant les fêtes de fin d’année.

«Il n’y aura pas de grève à Noël ou au nouvel an» a déclaré Guillaume Pepy sur l’antenne d’Europe 1. Grand devin, sûr de lui, volontaire et hyper confiant… c’est Guillaume Pepy comme on l’aime ou pas !

Bon, davantage que de miser aveuglément sur ses partenaires sociaux pour ne pas lui gâcher les fêtes de fin d’année, le Président de Sncf sait surtout bien compter sur ses doigts !

Réglementation sur la prévention des conflits oblige, toute nouvelle grève dans la foulée de celle du 12 décembre devrait être précédée d’une «demande de concertation immédiate» à l’initiative d’une ou plusieurs des seules organisations syndicales légalement représentatives (Cgt, Unsa, Sud, Cfdt).

Pepy et ses équipes de direction auraient alors trois jours pour y répondre et encore huit jours ensuite pour entendre les doléances dans le détail et le cas échéant, rassurer, négocier, transiger… à défaut d’éconduire. Et ce n’est seulement qu’à l’issue de cette période d’observation et d’échanges qu’un nouveau préavis de grève pourrait être légalement déposé. Ce qui donne encore cinq jours de répit avant le passage à l’acte. 3 + 8 + 5. Cela nous amène à la fin de l’année. Les fêtes sont sauvées !

Un préavis de grève exprimant les difficultés des syndicats à saisir le bon angle de prise

Pour des raisons légales et d’opportunité, l’appel à la grève est accessoirement motivé par quelques revendications purement professionnelles (salaires, effectifs, sûreté). Mais il n’échappe à personne que c’est la réforme gouvernementale du système ferroviaire qui en est la cible. Avec en toile de fond, la précipitation dont - selon ses détracteurs - la direction de l’entreprise ferait preuve pour en préparer la mise en œuvre, avant même que des décisions n’aient été approuvées et définitivement votées par la représentation nationale.

Mais, au bout du bout, les cheminots et leurs syndicats savent qu’ils n’ont pas de légitimité pour décider eux-seuls ce que doit être ou pas l’organisation du service public. Sinon autant demander aux enseignants de faire de même en définissant la politique d’éducation, aux routiers le code de la route ou la fiscalité de leur activité et ainsi de suite. Encore que de bien mauvais exemples, plus ou moins couronnés de succès, viennent d’être donnés.

Pour autant, les questions touchant au statut social des cheminots sont bien, qu’on le veuille ou non, dans le périmètre de légitimité d’action des organisations syndicales qui représentent ces derniers.

A ce sujet, le gouvernement propose justement d’inclure dans la réforme le principe d’un «cadre social harmonisé» s’imposant à l’ensemble des opérateurs ferroviaires présents ou à venir.

Or, pour les syndicats les plus influents de Sncf, ce cadre social harmonisé se doit d’avoir pour base le statut actuel des personnels de Sncf, tel quel, et rien d’autre! A l’image d’ailleurs du secteur de l’énergie autour du Statut du personnel des Industries Electriques et Gazières qui, au-delà d’EDF ou GDF devenu Gdf-Suez, concerne et s’applique aussi, sans discussion possible, à pas moins de quelques 170 entreprises concurrentielles et privées. Grâce à quoi la paix sociale a été préservée dans ce secteur où la Cgt est au moins aussi puissante qu’à la Sncf.

Si trois syndicats représentatifs de cheminots sur quatre se dressent contre cette partie de la réforme pourtant présentée comme socialement attrayante, c’est donc bien parce qu’ils pressentent ou subodorent que ce fameux cadre social harmonisé risque quand même d’être inférieur aux conditions actuellement en vigueur au sein de Sncf. Sinon, on ne voit pas bien pourquoi le maintien en parallèle de leur propre statut serait promis aux salariés de Sncf, avec le risque pour eux que ça ne dure pas après que d’autres références aient été mises en place.

Si en cas de conflit majeur paralysant la Sncf, maintenant ou «après les fêtes», il y a une porte de sortie à trouver, ce sera autour de cette question du statut. Bien que ce Statut – avec un S majuscule - soit souvent adulé et mythifié aux yeux de cheminots du terrain qui ne l’ont souvent pas lu et sont loin d’en maîtriser toutes les subtilités et les savants équilibres entre avantages et inconvénients.

Un contexte de veille d’élections professionnelles

Les élections professionnelles au sein de Sncf auront lieu le 20 mars 2014.

Le report de ce scrutin après la réforme avait été envisagé. Sur le plan pratique, le périmètre des élections aurait ainsi pu correspondre au découpage et à la répartition du personnel dans les trois établissements publics annoncés par le projet de Loi (un «EPIC mère» pour les directions centrales et stratégiques et «deux EPIC filles», l’un gestionnaire de l’infrastructure, l’autre exerçant les missions de transporteur).

Ce report de l’échéance électorale interne à Sncf aurait aussi eu pour avantage de laisser le temps de faire passer la réforme. Dixit Bernard Aubin, observateur de la vie sociale à la Sncf . Mais ce report, passant par la prolongation des mandats en cours, aurait alors nécessité un accord unanime des syndicats. Impossible à trouver. Alors advienne que pourra ! La réforme du système ferroviaire sera un thème central de la campagne de ces élections professionnelles. Chaque organisation en compétition doit s’attendre à être immédiatement jugée ou peut-être sanctionnée en fonction de ce qu’elle aura proposé, gagné… ou perdu.

La bande à part de la Cfdt

Après s’être jointe à la journée de grève du 13 juin, pourtant très similaire dans ses motivations, la Cfdt ne se retrouve pas dans cette nouvelle journée d’action.

Sa position est d’affirmer que les contours généraux de la réforme sont un «moindre mal» par rapport à un immobilisme dont elle craint qu’il soit à terme socialement désastreux.

Au passage, dans la guerre de positions engagée, les équipes de la Cfdt font argument auprès des cheminots de ce que «la réforme actuelle à la Française est en totale contradiction avec Bruxelles» (sic), ce qui selon cet angle de vue serait donc plutôt considéré comme un bienfait. Pas sûr que les autorités européennes apprécient et c’est un argument qui, tant est qu’il serait fondé, pourrait bien se retourner et entraîner un recadrage.

Les mêmes équipes Cfdt déterrent avec malice de derrière les fagots, un rapport du Conseil Économique Social et Environnemental favorable à l’ouverture à la concurrence des transports régionaux de voyageurs. L’un des deux rapporteurs n’est autre que Thierry Lepaon, le secrétaire général (confédéral) de la Cgt.

Ambiance, ambiance…

Ce faisant, dans le milieu cheminot, la Cfdt prend des risques. Car, le moindre recul électoral qui pourrait être la sanction d’une analyse sinon erronée ou inappropriée, tout au moins incomprise de ses mandants, pourrait la faire flirter dangereusement en dessous du seuil légal de représentativité fixé à 10 % des suffrages.

Le 12 décembre, et après ?

La journée du 12 décembre est d’ores et déjà annoncée pas si noire que ça puisque selon Guillaume Pepy «6 ou 7 trains sur 10 rouleront ce jour là».

Prévision permise par la Déclaration Individuelle d’Intention (D2i dans le jargon cheminot). Instauré avec la loi du 21 août 2007 «sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs», cette déclaration préalable s’impose à certaines catégories de personnel. Elle permet la mise en place d’un service minimum par une connaissance à l’avance des ressources disponibles.

L’affaire semblant donc déjà entendue pour le 12, c’est au-delà de cette date qu’il convient de regarder. Sud Rail appelle d’ailleurs déjà ses partenaires à se réunir dès le lendemain pour décider des suites. Mais il n’est pas certain que la Cgt se laissera dicter ainsi un calendrier par Sud, son frère ennemi et éternel concurrent dans la tentation du radicalisme.

Cela dit, sauf à donner du crédit à la position de la Cfdt, la question qui va se poser aux organisations les plus belliqueuses autour de la réforme, c’est de sortir de ces répétitives «grèves de 24 heures sans lendemain». Un travers que Sud dénonce régulièrement, espérant bien finir par se faire entendre.

Chaque journée d’action, même limitée à 24 heures, est donc une allumette craquée dans une atmosphère potentiellement explosive. Et comme l’a montré plusieurs fois l’histoire sociale de la Sncf, la déflagration peut venir à tout moment de la combinaison de n’importe quoi.

Une maladresse ou une contradiction politique, une action de franc-tireur d’un quelconque organisme de contrôle comme la Cour des comptes ou l’Agence pour la Régulation des Activités Ferroviaires, une nouvelle menace européenne… et voilà la Sncf et ses cheminots sens dessus dessous. Et il faudra encore beaucoup de talent à Guillaume Pepy pour vigiler partout !

Même des juges peuvent s’en mêler. Plus ou moins consciemment, le corps social cheminot attend en effet des mises en examen dans le cadre des suites judiciaires de la catastrophe de Brétigny. L’entreprise elle-même tente de désamorcer en annonçant à l’avance sa probable mise en examen en tant que personne morale et sans en contester le principe. Sauf que ça n’empêchera pas que des acteurs de terrain puissent être aussi mis personnellement en cause. Même si, comme chacun sait, des mises en examen ne signifient pas définitivement qu’il y ait eu faute ou responsabilité personnelle, il peut y avoir là un terrain propice pour alimenter l’angoisse, l’émotion et toutes sortes de rancœurs. Et ce faisant alimenter une réaction sociale hostile. C’est bien à propos que les «enjeux de sécurité» sont également dans le préavis déposé pour le 12 décembre.

Pouvant tout autant servir de mèche à retardement, manquerait plus aussi qu’en cette période de fort trafic et d’aléas climatiques, un train quelconque accuse un retard déraisonnable posant une nouvelle fois la question des moyens (même onéreux) par rapport aux exigences de continuité et de perfection des services proposés par Sncf. Une entreprise qui – dans le cœur des français – appartient à chacun.

Bref, il risque bien d’arriver un moment où tout devra être mis sur la table autour de cette réforme pour «un service public renforcé, mieux piloté par l'Etat et sous le contrôle de la Nation» telle que l’énonce le Ministre en charge des transports.

Au moins au niveau de la formulation, c’est exactement sans doute ce que veulent les clients, usagers, consommateurs dans leur grande majorité… sauf peut-être les contribuables! Force est en effet de constater que les citoyens ont en la matière des aspirations et des exigences quotidiennes et profondes plus proches des positions fondamentales de la Cgt que des courants libéraux. En une phrase, des trains pas chers, desservant tous les recoins de l’Hexagone, rapides et à l’heure, sans trop souvent de grèves.

C’est comme ça. Et c’est compliqué.

PAT