Iberia Express, what else ?

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Rafel Sanchez-Lozano joue son va-tout. A la tête du groupe Iberia qu’il a adossé à British Airways au sein du groupe IAG, il doit impérativement reconquérir des pans entiers de son marché court/moyen-courrier et rendre son entreprise profitable. La solution qu’il défend est la mise sur pied d’une filiale «low cost» appelée Iberia Express qui a commencé ses opérations cette année. Le choix stratégique tient peut-être au fait que le CEO de British Airways Willie Walsh est lui-même un fervent partisan de ce modèle, encore qu’il ne soit pas parvenu à l’imposer à sa compagnie. Il faut dire que l’expérience passée avec la compagnie GO, censée jouer le rôle dévolu à Iberia Express au sein de British Airways, s’est avérée désastreuse. Il a fallu l’abandonner.

Iberia Express, what else ?
Pour le transporteur espagnol le challenge est audacieux et pas sans risque.
Tout d’abord sur le produit. Dans une tribune que le Président d’Iberia signe dans Air Transport World, il avoue que le produit de sa «low cost» sera «très similaire» à celui de la maison mère. Voilà qui est un aveu terrible. Cela signifie tout bêtement que le produit d’Iberia a été dégradé au niveau d’un service à bas coût, tout en supportant un prix de revient d’un transporteur traditionnel. C’est assez dire qu’au final, ce sont les clients qui ont payé la note. Et qui refusent de continuer.
La deuxième difficulté consiste à faire voisiner au sein d’un même groupe des salariés à statut différent. Il ne s’agit pas de faire avaler un «dumping social», mais bien d’arriver à corriger les dérives engrangées au fil du temps. Au fond, les salariés de la compagnie «low cost» sont tout simplement rémunérés pour les services rendus, ce qui n’est plus le cas de ceux de la maison mère. Il faudra bien que ces derniers se fassent à cette idée, sinon, tout comme ceux de feue Alitalia, ils risquent simplement de tout perdre.
Oui, mais cela ne se fera pas sans convulsions. Il suffit de voir la première réaction des syndicats de pilotes qui ont décidé une grève quasiment permanente tous les weekends et ce, jusqu’en juillet. Ce faisant ils espèrent faire fléchir leur direction et lui faire renoncer à la seule manière de sauver la société et les emplois qui vont avec. Seulement, ce n’est pas parce qu’une mesure est juste qu’elle peut être appliquée. Après tout les sociétés sont mortelles si elles refusent les conditions de leur survie.
Voilà donc Rafael Sanchez Lozano confronté à un véritable dilemme. Faire plier les syndicats arcboutés sur leurs privilèges anciens, admettre que le modèle passé n’est simplement plus compétitif, ou accepter la défaite c’est-à-dire la mort du transporteur espagnol historique. En clair sacrifier le court/moyen-courrier pour sauver le long-courrier. Or cela n’est possible que si les salariés ne s’acharnent pas à détruire également l’exploitation long-courrier.
Il y a une quinzaine d’années, lors d’un Cannes Airlines Forum, Mike Conway l’un des fondateurs d’America West Airlines a annoncé à l’assemblée constituée de responsables de compagnies aériennes que les transporteurs «low costs» dicteraient leur loi aux compagnies traditionnelles. Son intervention a été accueillie par des sourires entendus de ceux qui maintenant doivent bien se rendre à l’évidence qu’il avait raison.
Le constat est fait. Le prix du carburant souvent invoqué ici ou là pour expliquer les difficultés du transport aérien traditionnel n’a aucun intérêt car les transporteurs « low cost » le paient au même prix. Ce qui fait la différence c’est l’organisation des compagnies, la lourdeur des structures anciennes, la lenteur des prises de décision dans les compagnies traditionnelles par rapport à leurs concurrents à bas coûts. Seulement la réforme est-elle possible ? Autrement dit, est-il possible d’alléger les compagnies traditionnelles de 20% au moins de leur effectif, de repenser entièrement l’organisation et les circuits de décisions sans que les convulsions sociales inévitables ne tuent ces compagnies ?
Confrontés à cette situation, les dirigeants tentent une parade en créant elles-mêmes leurs transporteurs « low cost » en espérant que, par contagion, le modèle allégé pourra s’imposer à la compagnie majeure. C’est ce que fait Iberia, c’est également ce que tente de faire Air France en faisant monter en puissance sa filiale Transavia. British Airways a tenté l’expérience avant les autres et a dû renoncer. En conséquence, elle a été amenée à faire en interne sa propre révolution ce qui l’a conduit à abandonner un grand pan de son exploitation européenne et à se séparer d’une dizaine de milliers de postes de travail. Menée de main de maître à l’époque par Rod Eddington, cette formidable évolution s’est faite sans conflits sociaux.
Puis-je suggérer aux responsables des grands transporteurs européens confrontés à cette si difficile situation de tirer Rod Eddington de sa retraite et de le prendre au moins comme consultant ?

Jean-Louis Baroux