La consolidation en question

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Je lisais récemment un article paru dans Airline Business consacré à Tim Clark, l’emblématique CEO d’Emirates qu’il dirige depuis 2003, soit 8 ans. Dans cette courte période, il en a fait l’une des premières compagnies mondiales, au 4ème rang en nombre de passagers kilomètres transportés, et l’une des plus profitables. Dans son interview, Tim Clark fait une virulente sortie contre les alliances qu’il accuse d’être un « gang guerrier ». Or pourtant la mode est à la consolidation. Celle-ci prend des aspects multiples : depuis les partages de codes jusqu’aux prises de participation en passant justement par les fameuses alliances.

La consolidation en question
Je ne peux que m’interroger sur la valeur ajoutée de ce système économique dont on finit assez vite par apercevoir les limites. Comment va-ton faire cohabiter convenablement si ce n’est amicalement les salariés d’Iberia avec ceux de British Airways, par exemple ? Dans ce cas de figure il faut bien évidemment rechercher non seulement les complémentarités, mais les synergies.

Certes à l’évidence il y a beaucoup à gagner dans la rationalisation des réseaux. C’est d’ailleurs la première action entreprise dans le cas d’un rapprochement entre deux transporteurs. Mais une fois celle-ci réalisée, que reste-il si ce n’est une montagne de difficultés. Car harmoniser les réseaux est finalement le plus facile et le moins douloureux. Alors tout le monde s’y met de bon cœur, même s’il faut abandonner quelques dessertes auxquelles les entreprises sont attachées, mais c’est en général pour en retrouver d’autres car à ce stade il n’est pas question de diminuer les outils de production, mais de faire en sorte qu’ils soient employés de manière plus efficace.

Mais après viennent les difficultés. La première d’entre elles est le choix du système de réservation. A partir de ce moment les relations s’enveniment très vite. Car après tout, dans le cas de deux transporteurs internationaux qui ont l’un et l’autre une longue histoire, on peut penser que leurs systèmes informatiques sont également performants. Alors qui va-t-on sacrifier et pour quelle raison ? Chacun défend avec acharnement son système, ne serait-ce que parce les investissements qu’il a fallu consentir pour les créer sont considérables. Il y a de plus un facteur affectif certain attaché à cet outil de travail. Comment dans ce cas enlever les frustrations ? Et peut-on raisonnablement garder deux systèmes différents ?

Je prends cet exemple assez caractéristique, mais on pourrait en trouver bien d’autres, comme par exemple le choix de la couverture des marchés. A qui va-t-on confier tel ou tel pays. L’affaire est également très délicate car si on veut créer des synergies, comme on dit, il faut forcément se séparer des salariés de la compagnie éliminée. Cela ne peut pas se faire sans drame. Alors au lieu d’avoir une volonté de rapprochement, les salariés voient plutôt le partenaire comme leur ennemi puisqu’il met leur emploi en danger.

Et puis sauf à ce que brutalement une compagnie en rachète une autre, le processus de prise de décisions devient tout à coup plus complexe. Il nécessite d’innombrables réunions qui mettent ensemble des acteurs pratiquant des langues et même des cultures différentes. Alors la réactivité s’en ressent forcément.

Bref, la stratégie de consolidation qui est finalement uniquement défensive ne peut pas être la panacée à laquelle aspirent les grandes compagnies. On en voit bien les limites dans la relation entre partenaires soit disant égaux, car il faut bien ménager la susceptibilité des Etats, alors qu’il y a forcément un acteur dominant.

Dans le cas d’Air France et de KLM l’affaire devient intéressante à examiner. Le plus petit opérateur est celui qui fait les meilleurs résultats et par conséquent il commence sérieusement à ruer dans les brancards. C’est sans doute un des raisons majeures pour expliquer le changement brutal de management du groupe. Comment alors envisager sans crainte l’extension de partenariats économiquement très étroits avec d’autres transporteurs comme Delta par exemple ? Qui peut prétendre gérer de tels monstres non seulement en termes de puissance et d’importance de réseaux, mais de variétés des cultures sans que cela ne coûte une fortune en réunions et séminaires en tous genres ?

La réponse de Tim Clark est simple. Que chaque transporteur vive sa vie et ce sera très bien ainsi. Cela n’empêche pas le développement. Toute l’histoire d’Emirates en est la vivante démonstration. On peut avoir une vision claire lorsqu’on dirige une compagnie sans avoir à faire des compromis internes, mais comment cela peut-il être possible dans un ensemble cosmopolite ?

Etre gros c’est peut-être bien, être beau c’est certainement mieux.

Jean-Louis BAROUX