La deuxième compagnie française est… anglaise

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"Les résultats sont implacables, le deuxième transporteur aérien opérant sur le territoire français pour traiter une clientèle française est… anglais", c’est EasyJet. Voilà en quelques mots résumée, par notre chroniqueur Jean-Louis Baroux, grand spécialiste de l'aérien, une situation étonnante qui remet en place les idées reçues sur la concurrence aérienne !

La deuxième compagnie française est… anglaise
Je me rappelle très bien avec quel mépris avaient été accueillis les propos de Ray Webster, alors CEO de la compagnie, lors de sa première intervention au Cannes Airlines Forum par les dignes représentants des grands transporteurs alors présents. Il annonçait ses intentions sur les marchés européens en visant tout particulièrement la France et l’Allemagne. EasyJet a fait très exactement ce qu’elle avait annoncé, personne ne peut donc être surpris.

D’ailleurs, il n’est pas vraiment anormal qu’une compagnie anglaise puisse avec succès traiter le marché français. Après tout la libéralisation européenne doit bien se traduire dans les faits. Il est plus étrange de ne voir par contre aucune compagnie française être en mesure de s’installer durablement sur un marché étranger, anglais, scandinave ou allemand par exemple. Pourquoi est-on donc arrivé à cette déliquescence du pavillon français lequel était tout de même très flambant dans les années 70 ?

Je vois une raison essentielle à cela. L’Aviation Civile française n’a eu pour seule politique que de protéger la compagnie nationale contre toute agression interne ou externe. Les preuves abondent : rachat d’Air Inter et d’UTA par Air France alors que cette dernière n’avait pas à l’époque les moyens financiers pour cela, élimination des personnalités qui pouvaient créer des concurrents sérieux pour Air France, je veux parler de René Lapautre mais également de Marc Rochet, gel des opérations à Orly afin de privilégier la plateforme de Charles de Gaulle… Je pourrais multiplier les exemples dans ce domaine.

Que les choses soient claires : les dirigeants successifs d’Air France n’ont aucune responsabilité dans cela. Après tout c’est leur rôle d’éliminer toute concurrence et de dominer le marché sur lequel la compagnie est installée. N’importe quel autre responsable d’une société en aurait fait autant et c’est la mission des dirigeants de défendre leur compagnie. Les responsables sont à chercher ailleurs, dans les autorités régulatrices du transport aérien français au premier rang desquelles la DGAC (Direction Générale à l’Aviation Civile) et aux ministères de tutelle qui ont d’ailleurs changé de forme et de titulaires au fil des années avec cependant une seule constante stratégique : protéger la compagnie nationale promue au rang d’icône.

Les conséquences ont été désastreuses pour tout le monde. Pour Air France d’abord. Protégée par les autorités, mise en permanence sous la tente à oxygène de la protection concurrentielle, la compagnie a mis très longtemps, trop longtemps à entamer les nécessaires réformes et ces dernières ne sont pas terminées loin s’en faut. Revenir à des ratios d’utilisation du personnel comparables non pas aux transporteurs « low costs » mais aux autres grands transporteurs mondiaux n’est pas aisé. A vrai dire si la compagnie n’avait pas bénéficié des 22 milliards de francs de l’aide de l’Etat et du « coup de génie » du rapprochement avec KLM qui a en son temps été très bénéfique (merci Jean Cyril Spinetta), notre transporteur national serait en bien mauvaise posture. Même les transporteurs nationaux sont mortels. (voir ce qui est arrivé à Sabena, Swissair et Alitalia pour ne parler que de l’Europe)

Elles ont été également désastreuses pour les autres transporteurs étouffés dans leur capacité de développement que ce soit UTA, Air Inter et plus proche de nous AOM et Air Liberté. Tous ces transporteurs ont disparu artificiellement soit par rachat plus ou moins imposé, soit parce que les responsables politiques les ont confiés dans des mains d’une incompétence reconnue, quand ce n’était pas dans celles de voleurs. Il en est d’ailleurs de même du transport régional. Est-on sur que les pertes des filiales régionales d’Air France ne sont pas supérieures à celles qu’auraient pu connaître les anciens transporteurs indépendants Britair, Air Littoral, Régional si les sous-traitances qu’ils faisaient pour le compte d’Air France avaient été payées au juste prix ?

Le résultat final est que bon gré, mal gré, nous avons été obligés d’ouvrir le marché français à la concurrence étrangère et que nous sommes de notre côté incapables de nous installer durablement sur les marchés étrangers.

Encore une fois bravo aux promoteurs de cette politique étriquée.

Jean-Louis BAROUX