Les compagnies américaines face à leurs clients

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L’année 2016 a été faste pour les compagnies américaines. Elles ont engrangé encore des résultats records. Rien que pour les 3 plus grands groupes : United Airlines, Delta Air Lines et American Airlines, le chiffre d’affaires cumulé 2016 est de 116,375 milliards de dollars, pour un résultat d’exploitation de 16,574 milliards de dollars soit 14,24 % du chiffre d’affaires et un résultat net de 9,312 milliards de dollars soit 8 % de la recette. Il n’y a pas si longtemps, devant l’accumulation de leurs pertes, ces trois monstres étaient acculés au dépôt de bilan à l’américaine : le fameux Chapter 11. Eh bien le moins que l’on puisse dire est que cette procédure, dont les autres compagnies du monde et d’abord les européennes ne bénéficient pas, a porté ses fruits. Ce sont principalement les salariés et les créanciers choisis par les compagnies et validés par les juges qui en ont fait les frais.

Les résultats sont là et ils paraissent très solides. On se demande alors pourquoi ces transporteurs, si largement aidés par une législation qui n’a pas son équivalent ailleurs, se plaignent des aides reçues par les compagnies du Golfe ? Certes, celles-ci sont également très soutenues par leurs Gouvernements respectifs, mais ni plus ni moins que ce que la législation américaine apporte à ses compagnies.

Sauf qu’il existe bien une vraie différence entre les deux ensembles de transporteurs, c’est la manière de traiter les passagers. Les américains ne sont pas réputés pour la qualité de leurs prestations. Après tout, le transport aérien est une commodité dans ce si vaste pays, rien de moins et rien de plus. Dès lors on lui demande seulement d’être fiable et de fournir des vols nombreux et à l’heure. Le reste n’est que du surplus. Au fond pourquoi pas si les clients s’en contentent. Seulement voilà, il existe maintenant les fameux réseaux sociaux et tout incident est instantanément filmé, posté sur ces nouveaux modes de diffusion et distribués dans le monde entier. C’est ainsi que deux incidents récents, l’un chez United Airlines, l’autre chez Delta Air Lines, causés par un surbooking que je qualifierais de normal, ont fait le tour du monde. Petites causes, grands effets, le cours de bourse de United Airlines s’est instantanément effondré simplement parce que la compagnie a débarqué, en force, un passager.

Jamais auparavant une telle décision n’aurait pu avoir un tel effet. A tel point qu’après avoir minimisé l’affaire, United Airlines, par la voix directe de son CEO : Oscar Munoz, a été obligée de présenter à la face du monde ses plus plates excuses en offrant une compensation conséquente au passager débarqué. De son côté, Delta Air Lines vient de décider de proposer une compensation de 10,000 $ à chaque passager qui accepterait de laisser sa place dans un cas de surbooking. Certes les modalités ne sont pas encore précisées et on ne sait pas s’il s’agit d’attribution de miles ou directement de paiement « cash ».

La leçon à tirer de ces incidents, somme toute mineurs, est qu’il ne sera dorénavant plus possible de traiter de manière incorrecte les passagers. Ainsi ces derniers vont passer du statut d’usager à celui de client. Et cela ne sera pas sans conséquences. Les compagnies aériennes concernées sont en train de revoir leurs procédures pour éviter d’être exposées à la vindicte publique et d’abord aux fluctuations à la baisse de leurs cours de bourse. Car voilà bien la sanction majeure. Les grands transporteurs ont toujours considéré leurs passagers comme des unités de consommation et non pas comme des clients, mais ils ne peuvent pas se permettre de négliger leur capitalisation boursière.

Alors on comprend mieux leur crainte de voir arriver en force sur l’axe transatlantique les compagnies du Golfe car alors les clients risquent bien de les choisir au détriment de leurs compagnies nationales, de partager sur les mêmes réseaux sociaux leurs expériences et montrer ainsi la différence de traitement des passagers. Appuyés par leur Gouvernement, les grandes compagnies américaines ont entamé une guerre des nerfs avec leurs homologues du Golfe. Comme il est très difficile de prouver que ces dernières disposent d’aides illégales, elles ont entamé un vrai tir de barrage. Celui-ci vient de se traduire par l’annulation des accords « Interline » de United Airlines avec l’ensemble des compagnies du Golfe et ce, dès le 05 mai. Cette mesure devrait faire très mal car le relais des vols domestiques est indispensable au support des vols transatlantiques.

Pour le moment la seule riposte a été de supprimer des vols entre le Golfe et les Etats Unis. On n’en restera certainement pas là. Des annulations de commandes chez Boeing sont à prévoir, en mesures de rétorsion. Tout cela ne sent pas bon !

Jean-Louis BAROUX