Les grandes manoeuvres continuent

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Delta Airlines vient de racheter les 49% d’actions que détenait Singapore Airlines dans Virgin Atlantic, la compagnie dont le fondateur Richard Branson garde encore la majorité. En fait, tout n’est pas encore réalisé. Le rachat ne deviendra effectif au mieux qu’en fin 2013 et encore, à la condition d’obtenir de la part des autorités américaines l’immunité antitrust, ce qui n’est pas encore gagné.

Les grandes manoeuvres continuent
Pourquoi Singapore Airlines a-t-elle revendu ses actions et pourquoi Delta Airlines les a rachetées à un prix qui valorise Virgin Atlantic à 650 à 700 millions d’euros, soit la moitié de la valeur boursière d’Air France/KLM, pour fixer un ordre d’idées ?

D’abord, pourquoi la compagnie asiatique s’est-elle séparée de son acquisition ? Sauf à avoir des ambitions de rachats encore plus importants qui nécessiteraient un gros apport de cash, le transporteur singapourien n’a pas besoin de réaliser des actifs. Depuis des années, elle est en parfaite santé et il n’y a pas de raisons que cela change. Sauf que peut-être la forte émergence dans sa zone de chalandise rapprochée de transporteurs low cost ne la conduise à créer un rempart défensif, par exemple en développant elle-même des filiales de cette nature. La création récente de Scoot, compagnie filiale low cost long-courrier de Singapore Airlines est un exemple, mais peut-être n’est-il pas isolé. En tous cas, le recentrage des activités de la compagnie sur l’Asie/Pacifique est patent. Cela justifie peut-être d’accepter une perte considérable sur la transaction Virgin Atlantic, car elle avait acheté les 49% des actions qu’elle détenait en 1999 et pour un montant de 976 millions de dollars alors qu’elle les cède à Delta Airlines pour seulement 360 millions de dollars.

Au total, le pôle de Singapore Airlines est maintenant constitué de la compagnie - mère, bien entendu et de 3 transporteurs low costs : 2 pour le court/moyen-courrier : Tiger Airways et Silkair qui opèrent ensemble 33 Airbus et qui en ont 57 en commande et un pour le long - courrier : Scoot qui passera des 4 Boeing 777 qu’elle exploite actuellement à 24 prochainement. Voilà un ensemble diversifié puissant. Reste à savoir si cette stratégie s’avèrera rentable au cours des prochaines années.

Quant à Delta Airlines, on se demande bien où va s’arrêter sa boulimie. Rappelons d’abord que la grande compagnie d’Atlanta a connu des moments particulièrement difficiles. Elle a été obligée de déposer son bilan en passant sous le «Chapter 11» en 2005. Cela lui a été nécessaire pour se restructurer vigoureusement. Traduisez : opérer des licenciements massifs. Mais cette stratégie a été salutaire puisqu’elle lui a permis, une fois revenue en bonne santé, de racheter Northwest Airlines le 5ème transporteur américain, par fusion acquisition et à devenir ainsi la première compagnie mondiale. Et depuis, elle est passée du bon côté de la rentabilité avec un résultat positif de 1,6 milliard de dollars en augmentation de 30% par rapport à l’année précédente.

Alors, pourquoi vouloir grossir encore ? Certes, Virgin Atlantic amène un grand nombre de créneaux à Heathrow or comme cet aéroport est saturé, c’est la seule manière de se développer. C’est pour cela sans doute que les deux compagnies créeront une «Joint-Venture», autrement dit une société qui n’est pas une vraie société mais qui permet de mettre en commun les dépenses et les recettes. Celle-ci sera-t-elle complémentaire de celle créée avec Air France/KLM ou sera-elle concurrente ? Comment tout ce beau monde va-t-il cohabiter au sein de l’alliance SkyTeam ? Car tout ne va pas être facile et les luttes intestines ne manqueront pas de se faire jour. Comment d’ailleurs en serait-il autrement alors que, comme toujours, chacun voudra piquer une part de marché dans l’assiette du voisin lequel n’aura qu’un but, c’est de lui rendre la pareille.

Et puis, dernière question, que vont devenir les miles attribués aux passagers de Virgin Atlantic, qui est encore dans la Star Alliance et qui devra bien passer dans Skyteam ? Après tout, les clients de Virgin Atlantic étaient peut-être attirés par la possibilité de convertir leurs miles sur Singapore Airlines ou Lufthansa, voire de United Airlines. Eh bien, cela ne sera plus possible. Cela ne fera peut-être pas leur affaire !

Bref, une fois encore les gros veulent devenir encore plus gros. Jusqu’au moment où les groupes seront tellement importants qu’ils ne seront plus gérables.

Jean-Louis BAROUX