Lufthansa Blues

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Alors voilà que maintenant les Allemands eux-mêmes font de la déprime. Lufthansa qui est - et de loin - le premier groupe aérien international annonce des résultats en perte. Celle-ci est certes modeste si on la compare aux résultats des homologues européens et américains : 13 pauvres millions d’Euros. Elle est de plus parfaitement explicable par la nécessaire revalorisation de la compagnie BMI qu’elle a été amenée à céder au groupe IAG (British Airways plus Iberia). Sans cela, le résultat aurait été positif de 289 millions d’Euros. Pas de quoi s’alarmer et pourtant…

Lufthansa Blues
Le groupe emmené par Christoph Franz a pris immédiatement des décisions drastiques. Gel des salaires, diminution de 50% des sous-traitances extérieures, 20% d’économie sur les frais de déplacement. Et ce n’est pas tout : la compagnie envisage même une suppression de 3000 emplois ce qui ne saurait se concevoir sans licenciements. L’objectif avoué est d’économiser 1,5 milliards d’Euros à l’horizon 2015.
Tout cela pour ça, serait-on tenté de dire ? N’y a-t-il pas d’affolement dans ce train de mesures ? Surtout si on compare la rigueur des décisions prises pour une perte somme toute facilement absorbable, puisque l'une des causes majeures a été neutralisée, à la lenteur des actions entreprises par d’autres transporteurs qui ont à faire face à une situation autrement plus délicate.
Oui, mais finalement c’est toute la construction du Groupe Lufthansa qui est fragilisée. Cet ensemble est constitué, outre la grande maison-mère, de plusieurs compagnies importantes telles qu' Austrian Airways, Swiss, German Wings et, dans une moindre mesure, de Brussels Airlines. On conviendra bien qu’il ne s’agit pas là de transporteurs mineurs.
Seulement la plupart perdent de l’argent : Austrian Airlines : 62 millions d’Euros, German Wings : 52 millions d’Euros et la perte sur la quote part de Brussels Airlines a été évaluée à 13 millions d’Euros. Il n’y a que Swiss pour tirer son épingle du jeu avec un bénéfice opérationnel de 259 millions d’Euros. Et puis la compagnie allemande a été amenée à jeter l’éponge sur son aventure italienne avec la fermeture de Lufthansa Italia, dans l’impossibilité ou elle se trouvait de la rentabiliser. Elle a d’ailleurs été amenée à en faire de même avec le côté britannique constitué par BMI.

Voilà qui donne singulièrement à réfléchir.
D’abord les grands ensembles ne sont pas simples à gérer et ne sont surtout pas synonymes de performances économiques remarquables. Les fameuses synergies - largement mises en avant pour tous les rapprochements - sont finalement de courte durée. Une fois celles-ci épuisées, disons au bout de 2 ans, il ne reste que des charges supplémentaires.
Ce n’est pas parce qu’on est gros que l’on est à l’abri des menaces des concurrents que ceux-ci s’appellent transporteurs « low cost » où qu’ils soient originaires du Golfe. Il convient de retrouver à l’intérieur même des compagnies les moyens de lutter contre les nouveaux arrivants et pas forcément avec les mêmes armes.
Christoph Franz fait preuve de grande détermination. Tout en prenant des mesures importantes pour enrayer toute dérive des résultats, il met l’accent sur la qualité de son produit et particulièrement celui de la classe Affaires. Il faut en effet à la fois retrouver des coûts de production comparables à ceux des concurrents et une qualité de produit que les transporteurs européens ont perdu, tout au moins sur le long-courrier si on la compare à celui des compagnies asiatiques et du Golfe.
L’enjeu est à la reconquête de la clientèle tout en améliorant les ratios de productivité. Pas facile, mais quasiment impossible si on s’y prend trop tard.
L’effort est toujours difficile, il est délicat à expliquer et compliqué à faire appliquer. Il est nécessaire néanmoins et comme Lufthansa l’a compris, il doit d’abord porter sur des mesures internes à l’entreprise. Il ne sert à rien de se lamenter sur le prix du pétrole ou des taxes que les gouvernements font appliquer à tort ou a raison. Après tout, ces charges frappent également tous les opérateurs aériens et ce quelle que soit leur nationalité.
Il faut arrêter cette dérive de toutes les grandes compagnies aériennes qui consiste à tenter de gagner des parts de marché sur le dos des concurrents à coups de baisses de tarifs inconsidérées. A ce petit jeu, il n’y a que des perdants. D’abord les clients qui, qu’on le veuille ou non, paient finalement les prix bas avec une prestation sans cesse dégradée. Et puis les personnels des compagnies qui voient leur métier se dévaloriser au fil des pertes du secteur d’activité.
Les remous entrainés par les annonces de suppression de postes seront certainement plus faibles en Allemagne que dans d’autres pays et d’abord en France lorsqu’il faudra bien se résoudre à en annoncer.

Jean-Louis BAROUX