Où va Turkish Airlines ?

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Voilà une compagnie dont la croissance accélérée n’avait été anticipée par personne. Depuis l’arrivée de Temel Kotil, son emblématique CEO entre 2005 et 2016, elle est passée de 14.134.000 à … 62.759.000 passagers. Si je compte bien, cela fait un taux de croissance de l’ordre de 15% par an. C’est 3 fois le taux global du transport aérien, et encore : pendant cette période, la crise financière de 2008 a fait des ravages et les comptes des compagnies s’en sont très sérieusement ressentis. Eh bien curieusement, cela n’a pas été le cas de Turkish Airlines dont les résultats jusqu’en 2015 auraient fait beaucoup d’envieux. Rien que pour cette année-là, le bénéfice net a été de 1,069 milliards de dollars.

Tout semblait aller pour le mieux et la Turquie se mettait à rêver de devenir ni plus ni moins que le centre focal du transport aérien mondial. Et elle s’en donnait les moyens en créant ce qui doit devenir le plus grand aéroport du monde, Istanbul Havalimani, au nord de la ville sur la mer Noire. Celui-ci doit démarrer ses opérations au printemps 2018 soit dans moins de 6 mois. A terme, il est prévu pour traiter 150 millions de passagers avec pas moins de 6 pistes. Rappelons pour donner un ordre d’idée que la plus grande plateforme mondiale actuelle, Atlanta Hartfield, est à moins de 100 millions de passagers et que Roissy tangente les 70 millions.

Et Turkish Airlines a prévu de poursuivre sa croissance. De 313 appareils actuellement en service, elle prévoit de passer à 420 en 2020, c’est-à-dire demain. Autant dire qu’elle affiche de très grandes ambitions car cela devrait l’amener à faire voyager plus de 100 millions de passagers très rapidement.

Seulement l’avenir ne semble pas si rose. Les planètes semblent s’être un peu désalignées. Cela a commencé hélas par une série d’attentats meurtriers : plus de 120 morts le 10 octobre 2015 à Ankara, 36 morts toujours à Ankara le 13 mars 2016, puis c’est Istanbul qui a été frappée : 41 morts le 27 juin 2016 à l’aéroport International Atatürk et 38, le 10 décembre de la même année, en centre- ville. Il n’en fallait pas plus pour que les touristes désertent le pays et que des lois sécuritaires exceptionnelles soient prises à la suite d’une tentative ratée de coup d’Etat.

Finalement, la compagnie se trouve confrontée à une forte baisse de son trafic de point à point, laquelle pourrait durer longtemps, en attendant que les passions s’apaisent dans un pays jamais vraiment stabilisé. Les bateaux de croisière qui constituaient une part non négligeable des passagers et du commerce stambouliote ne font plus escale. Les passagers en correspondance cherchent d’autres « hubs » et il n'en manque pas dans la région.

La conséquence économique ne s’est pas fait attendre. Dès 2016, et pour la première fois depuis très longtemps, les comptes de Turkish Airlines ont viré au rouge avec une perte de 77 millions de dollars comparée au milliard de gains l’année précédente. La chute s’accélère. Lors des 6 premiers mois de 2017, le déficit s’est monté à 434 millions de dollars. Certes, traditionnellement le premier semestre est toujours plus faible que le deuxième, mais les mauvais signaux sont là.

Du coup la compagnie est confrontée à une baisse de son trafic et de son chiffre d’affaires : -7% de 2016 par rapport à 2015, au moment où elle va recevoir une pléthore de nouveaux appareils et où elle va prendre possession de ses nouvelles installations aéroportuaires. Rajoutez à cela qu’elle a été sérieusement secouée par la démission forcée de Temel Kotil, celui qui avait mené son incroyable développement, pour causes liées à la liberté d’habillement des hôtesses. Voilà qui ne donne pas le meilleur signal pour attirer les clients occidentaux très attachés à leurs libertés.

Or les dernières nouvelles ne semblent pas considérer que la période actuelle est tout, sauf faste. De nouvelles lignes sont lancées: 4 au départ d’Ankara vers Paris, Francfort, Vienne et Berlin Tegel, et la réception des nouveaux appareils continue au rythme prévu.

Voilà qui, à tout le moins, justifie certaines interrogations. Le transporteur turc ne fait-il pas de la fuite en avant ? Comment remplir les nouveaux appareils et les nouvelles routes sans baisser le niveau tarifaire moyen lequel était déjà très bas ? Va-ton assister à un nouveau dumping qui affecterait les concurrents directs, les compagnies du Golfe ?

Affaire à suivre avec grande attention.

Jean-Louis BAROUX