Quand les aéroports rachètent les compagnies

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La nouvelle est passée presque inaperçue et pourtant elle est d’importance : l’aéroport de Prague rachète Czech Airlines dont Air France/KLM est actionnaire certes minoritaire, mais tout de même. En clair, les autorités tchèques ne font plus confiance au grand groupe pour redresser leur compagnie, et comme ils n’ont pas vraiment le choix, elles ont confié cette tâche à leur aéroport de référence.

C’est au fond comme si Aéroports de Paris rachetait Air France. Cela paraît totalement impensable, et c’est certainement en dehors de tout scénario envisageable. Et pourtant, serait-ce impossible ?

Au dernier cours, l’action d’Air France cote aux alentours de 11 euros. Il y a sur le marché un peu plus de 300 millions d’actions ce qui, tous petits calculs faits amène une capitalisation boursière du groupe Air France à 3,3 milliards d’euros. Sachant que la seule part de capital flottant est de 82,9%, la valeur achetable est actuellement de 2,737 milliards d’euros. Est-ce totalement hors de portée d’Aéroports de Paris ? Il est intéressant de suivre l’évolution comparée des deux groupes, en remontant à 2005 au moment où Aéroports de Paris a été privatisé.

L’évolution des résultats tout d’abord
Ceux d’aéroports de Paris montrent une grande constance dans la capacité de sortir des profits tout à fait convenables : 180 millions en 2005, 152 en 2006, 322 en 2007, 273 en 2008, 270 en 2009 et 306 en 2010. Dans le même temps ceux de la compagnie nationale font du yoyo passant du très bon au très mauvais : 921 millions en 2006, 887 en 2007, 767 en 2008, mais une perte de 807 en 2009 et encore pire une perte historique de 1 560 en 2010. Au total le groupe Air France/KLM aura fait 206 millions de profits au cours des 5 derniers exercices entièrement connus contre 1 323 millions pour Aéroports de Paris. Notons cependant un bon redressement d’Air France/KLM au cours de l’exercice 2010-2011, bien que les chiffres finaux ne soient pas encore connus et même si la vente d’une partie du capital d’Amadéus a contribué largement à ce retournement de situation.

Les capitaux propres
Ces résultats ne sont bien évidemment pas sans conséquences sur l’évolution des capitaux propres des deux entreprises.
Ceux d’Air France/KLM évoluent fortement d’une année sur l’autre : 7,853 milliards d’euros en 2006, 8,412 en 2007, 9 975 en 2008, mais 5,676 en 2009 et 5,418 en 2010. Dans le même temps ceux d’Aéroports de Paris sont en progression constante : 2,787 milliards d’euros en 2006, 2,988 en 2007, 3,097 en 2008, 3,232 en 2009 et 3,4085 en 2010. Partis de 35 % des capitaux propres d’Air France/ KLM en 2006, ceux d’Aéroports de Paris atteignent maintenant 63 % de ceux du transporteur.

La capacité d’autofinancement
Bien évidemment celle d’Aéroports de Paris s’est considérablement accrue pour passer de 664 millions d’euros en 2006 à 951 millions d’euros en 2010. Cela lui donnerait en théorie les moyens de s’intéresser très sérieusement à la compagnie nationale si tant est qu’AdP en ait envie, ce qui n’est certainement pas le cas.

Alors si tout cela n’a pas de sens, pourquoi se livrer à ce genre de comparaison ?

D’abord parce que nous avons sous les yeux un exemple, certes dans une plateforme de moindre importance et avec un transporteur régional et non pas un « global player ». Mais parce que dans l’avenir, on peut parfaitement imaginer que les aéroports souhaitent conforter leur position et ne plus dépendre du bon vouloir de transporteurs qui réclament de considérables investissements et quittent la plateforme une fois ceux-ci réalisés, comme ce qui se passe par exemple à Clermont-Ferrand.

Les grands aéroports sont structurellement bénéficiaires et ils tirent 50 % de leurs revenus de recettes non aéronautiques lesquelles ne peuvent exister que si le trafic est maintenu.

Voilà de quoi faire réfléchir à une évolution des stratégies.

Jean-Louis Baroux