Vers un nouvel équilibre du transport aérien

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Aucune tendance n’est éternelle dans notre économie moderne. Et c’est bien ce qui arrive au transport aérien qui voit ses rapports de force très sensiblement modifiés depuis le début de cette année.

Pendant, disons une dizaine d’année, cette activité a été impactée par la croissance colossale des compagnies aériennes du Golfe. Les états de la région considérant qu’ils avaient besoin du transport aérien pour développer une économie à long terme, ont sciemment soutenu les transporteurs souvent créés pour des raisons politiques plus qu’économiques. En fait, ayant vu la formidable réussite d’Emirates, ils ont tout simplement décidé de l’imiter. Ils pouvaient le faire car contrairement à l’Emirat de Dubaï qui ne possède pas de pétrole, Abu Dhabi, le royaume du Qatar voire le Kuwait regorgent de ressources pétrolières et gazières. Faut-il rappeler que pendant une dizaine d’années, le cours de cette manne s’est maintenu à un niveau particulièrement élevé ce qui faisait la prospérité de ces états et affaiblissait les compagnies aériennes obligées de consacrer jusqu’à un tiers de leurs dépenses pour les achats de carburant. Alors il semblait logique pour ces pays de consacrer ces énormes ressources financières pour soutenir ce secteur d’activité.

C’est ainsi qu’on a vu l’apparition d’Etihad Airways et de Qatar Airways, au détriment du Gulf Air réduite à une peau de chagrin. Il fallait aller vite pour rattraper l’énorme avance prise par Emirates. Pour ce faire, les deux compagnies ont d’abord choisi le même positionnement que leur concurrent : un hub puissant et une très haute qualité de service. Mais Etihad a été plus loin avec une stratégie de prise de participations, certes minoritaires, dans plusieurs transporteurs en difficulté qui étaient trop heureux de bénéficier d’un soutien financier supposé sans fin.

Cette concurrence entre les trois principaux transporteurs du Golfe a eu pour effet de focaliser l’attention du monde aérien sur cette partie de monde qui s’est mise à faire peur aux autres. Cela s’est traduit par des plaintes très médiatisées à l’encontre de pratiques supposées anti-concurrentielles de la part des autres grandes compagnies américaines et européennes, les unes et les autres oubliant qu’elles-mêmes ont également bénéficié des facilités offertes par leurs pays respectifs.

Mais la situation a radicalement changé en moins de deux ans.

D’abord, les compagnies américaines ont retrouvé une insolente santé suite aux restructurations considérables du secteur aérien, permises par les facilités du « Chapter 11 ». Les Européens ont eux aussi très fortement accru leurs performances économiques et, sous la pression des compagnies du Golfe, sensiblement amélioré leur produit. Certes, ils sont toujours pénalisés par une infrastructure aéroportuaire défaillante, mais ils ont fortement repris du poil de la bête, comme on dit.

Et pendant ce temps, les difficultés se sont accumulées sur les transporteurs du Golfe. D’abord les états ne sont plus capables de soutenir leur croissance à fonds perdus car le prix du pétrole qui faisait leur prospérité, s’est effondré. Et il semble que le niveau actuel doive se maintenir encore pendant longtemps. Et puis la situation politique, déjà complexe par le passé, est devenue très difficile. La lutte contre le terrorisme passe aussi et d’abord par ces états et les uns accusent les autres de soutenir cette gangrène. Voilà qui a conduit le Qatar à être plus ou moins mis en quarantaine par ses voisins.

Alors, on assiste à un repli sur soi de la part des compagnies du Golfe. Le revirement le plus spectaculaire est fait par Etihad Airways qui va liquider les participations que le transporteur d’Abu Dhabi détenait, particulièrement en Europe, en passant par pertes et profits les investissements et les soutiens financiers réclamés par ses filiales. Il doit y en avoir pour pas loin de 2 milliards de dollars alors que son chiffre d’affaires annuel passagers se situe autour de 5 milliards de dollars.

Qatar Airways a quant à elle repoussé les livraisons d’avions, en particulier les A 350. Ceci fera certainement l’affaire des Européens qui étaient un peu loin sur la liste d’attente.

Au fond, les compagnies du Golfe sont passées sur la défensive. En conséquence, la croissance du transport aérien, toujours très soutenue, passera beaucoup moins par les hubs de la région et sera sans doute captée par les nouvelles destinations directes permises par l’arrivée des nouveaux appareils plus performants.

Jean Louis BAROUX