Yanis Kiansky, Allocab : « Nous sommes formatés pour répondre aux besoins des entreprises en matière de VTC »

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Alors que le gouvernement vient de prendre la décision d'imposer un délai d'attente de 15 minutes aux VTC entre la commande et la prise en charge d'un client, Yanis Kiansky - fondateur et président de la société Allocab- ne peut que constater le poids du lobbying des taxis dans un univers où la liberté de choisir doit primer. Mais au delà, il prône le dialogue entre VTC et taxis qu'il ne veut ni opposer ni renvoyer dos à dos. "Il faut des échanges concrets car nous ne sommes pas les concurrents directs des taxis. Au contraire. Nous offrons des services différents à des coûts différents". Rencontre avec un jeune entrepreneur pour qui le VTC est un outil particulièrement bien adapté aux entreprises.


DéplacementsPros : Que pensez-vous du décret que vient de prendre le gouvernement pour régir l'activité des véhicules de tourisme avec chauffeur ?

Yannis Kiansky : Aussi bizarre que cela puisse paraître, je trouve qu'il y a dans ce décret des bonnes choses. À l'origine, il a été conçu pour éviter la maraude que l'on peut constater parfois autour des gares ou même des stations de taxis. Il a également été pris pour calmer les organisations professionnelles de taxis qui voyaient dans le VTC une concurrence, souvent qualifiée de dangereuse, alors que nous n'offrons pas le même type de service et la même approche commerciale. Globalement, il nous est assez facile de démontrer que nous respecterons cette règle des 15 minutes d'autant plus qu'aujourd'hui, 70 % de nos réservations se font bien au-delà de ce délai légal. Nous avons même des entreprises qui réservent un ou deux mois avant la date prévue pour le transport ! En revanche, je crois qu'il faut être vigilant sur l'évolution de ce dossier. Dans une ville comme Paris, il y a un vrai souci avec la disponibilité des taxis. Nous apportons une réponse souhaitée par le client. Le législateur ne peut pas se permettre de ne pas entendre cette demande.

DéplacementsPros : Les taxis eux sont persuadés que les VTC sont des concurrents dangereux ?

Yannis Kiansky : Je ne crois pas qu'il faut poser la question de cette façon. Encore une fois, et nous l'avons souvent expliqué et détaillé aux taxis, nous offrons des services bien différents de ceux qui existent dans le transport de passagers. Nous assurons par exemple une continuité dans plus de 50 villes de France avec la même facilité que dans la ville d'origine du voyageur. Nous avons une approche qui nous conduit à imaginer des services plus proches du chauffeur privé que du taxi. Je prends pour exemple les boissons à bord, la prise électrique pour recharger les téléphones portables et une "conciergerie" apportée par le chauffeur dans des voitures généralement haut-de-gamme, confortables et appréciées des voyageurs.
On nous a également reproché de ne pas avoir de formation identique à celle des chauffeurs de taxi. Je tiens à préciser que dans le très grand nombre de demandes de chauffeurs qui nous parvient chez Allocab, presque 40 % émanent de chauffeurs de taxi. Nous apportons donc un soin particulier à ce que nos chauffeurs connaissent parfaitement la destination souhaitée par le client. Mais ils vont bien au-delà. La connaissance de la ville leur permet d'apporter une information complémentaire, que ce soit pour rechercher un restaurant ou un hôtel mais également un musée ou tout autre lieu que le voyageur voudrait découvrir pendant son séjour. Il y a bien une volonté du législateur d'uniformiser la formation en matière de transport de voyageurs. Je ne suis pas certain qu'elle soit nécessaire pour tout le monde et nous veillons de notre côté à ce que les entreprises avec qui nous travaillons soient parfaitement au fait de l'actualité d'une ville.

DéplacementsPros : Peut-on raisonnablement imaginer, malgré les 15 minutes de délais, que vous soyez présents à l'arrivée d'un train ou d'un avion, ce qui est un service très demandé par les entreprises?

Yannis Kiansky : Avant de répondre à cette question, je voudrais m'attaquer à une idée reçue qui veut que les VTC sont exclusivement utilisés pour aller dans une gare ou un aéroport. Notre mission va bien au-delà et les entreprises nous confient leurs clients que ce soit pour une découverte de la ville ou pour se rendre d'un point de production à un autre. Les 15 minutes que vous évoquez, le délai légal désormais imposé aux VTC, est loin d'être un handicap. Par contre ce qui est un problème, c'est la circulation. Lorsque les bouchons sur Paris sont importants, et sans doute l'avez-vous remarqué, les taxis sont peu présents aux points de chargement. Il y a une explication simple : avec une vitesse moyenne dans les bouchons égale à 17 km/h, le taxi passe plus de temps à attendre qu'à conduire. Et nous savons tous qu'un chauffeur de taxi perd de l'argent quand il attend. Aussi il est facile de comprendre que les taxis se précipitent vers des lieux où l'on peut aisément charger et sur des axes moins encombrés que d'autres.

Ce serait mentir de dire que nous avons une solution pour dépasser les bouchons. Nous en sommes victimes comme tous les automobilistes et toutes les voitures qui se retrouvent prises au piège de la circulation. Pour autant, imaginons qu'une vingtaine de minutes avant d'arriver en gare, vous effectuiez une réservation auprès d'Allocab. Vous serez immédiatement informé de la disponibilité éventuelle du véhicule qui vous attendra à la descente de votre train tout en respectant le délai légal des 15 minutes. Idem un aéroport ou à tout autre endroit de votre choix. Nous disposons d'une plate-forme de réservation accessible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, que ce soit depuis un téléphone portable, une tablette ou un ordinateur. De là à vous dire que nous sommes disponibles en permanence et à 100 % ne serait pas juste. Nous avons également des heures de pointe, d'où l'idée de réserver à l'avance.

DéplacementsPros : Lorsqu'une entreprise de services comme la vôtre travaille avec des entreprises, elle se plie souvent à la demande des acheteurs qui souhaitent des tarifs négociés, adaptés à leurs attentes en matière de transport. Êtes-vous dans ce type de contrat ?

Yannis Kiansky : Non, car nous avons mis en place un modèle économique nettement plus lisible que les contrats classiques proposés par les sociétés de taxi. Prenons l'exemple de l'entreprise la plus connue sur Paris, G7, et son contrat "affaires". Lorsque vous détaillez la facture globale, vous vous rendez compte qu'il y a des frais de gestion, des frais de pourboire, un droit d'utilisation… Bref un coût global qui augmente de 50 % la facturation mensuelle finale. Nous avons mis en place plusieurs classes de services. C'est aussi une réponse économique claire et précise, sans surprise. Nous proposons aussi bien une classe éco qui, pour un trajet entre Paris et Orly, coûtera 40 € qu'une "classe luxe" qui, sur la même destination, sera facturée 50 €. À cela, le client pourra ajouter des services complémentaires comme par exemple un "Ladies Car", un service d'accompagnement des dames jusqu'à leur porte. Le prix est annoncé dès la réservation. Il n'y a donc aucune surprise, aucune surfacturation particulière.
Allocab n'est pas directement l'opérateur des véhicules mis à la disposition des clients, nous les mettons en relation et garantissons la qualité du service qui est proposé. Cela veut dire que nous n'abandonnons pas le client à la seule volonté du chauffeur mais que nous avons su constituer un groupe qui respecte à tous les niveaux les engagements qui sont pris. Enfin, même si cela peut apparaître comme un détail, Allocab plante un arbre au nom du passager tous les 250 km parcourus afin d'annuler l’empreinte carbone des courses. Ainsi, le carbone émis est compensé de 4 à 11 fois selon les véhicules utilisés. L’arbre est accompagné d’un certificat de plantation présentant le numéro unique d’identification au registre VCS (Volontary Carbone Standard).

DéplacementsPros : Pas de contrat corporate ?

Yannis Kiansky : A quoi servirait-il ? À faire croire à l'entreprise que nous allons lui proposer un prix différent de celui payé par son voisin, au seul prétexte que c'est une entreprise? Cela serait hypocrite et sans intérêt. Nous préférons lui dire, et nous lui prouvons, que le prix payé est le juste prix qui intègre les services et le savoir-faire de nos chauffeurs. Il est dommage que nous soyons aujourd'hui comparés aux taxis alors que nous proposons une autre approche du transport de voyageurs. Au-delà, et là aussi nous sommes très transparents, nous ne pratiquons pas le yield management et la clarté de nos tarifs est connue dès la réservation du véhicule. Enfin nous menons une mission d'audit auprès de nos clients pour optimiser leurs besoins en VTC et établir avec eux une approche précise de leurs déplacements. Au final, on constate tout simplement que nous sommes économiquement bien placés et que nos tarifs sont le plus souvent moins élevés que ceux pratiqués par les abonnements « taxi ».

DéplacementsPros : Etes-vous prêts à dialoguer avec les chauffeurs de taxi ?

Yannis Kiansky : Je ne demande que cela. Le débat et la réflexion sont essentiels à l'évolution du transport de passagers. Nous n'allons pas solutionner les problèmes des taxis à leur place. On suit avec intérêt la discussion qui a été lancée autour du prix de la licence et du fait que les VTC feraient baisser leurs prix. C'est un argument qui ne reflète pas la réalité. Et d'ailleurs, on le constate en France comme ailleurs, le prix moyen d'une licence de taxi n'a pas réellement baissé depuis que nous existons. La licence est un actif d'entreprise au même titre que des centaines d'autres actifs professionnels.
De plus, je ne rentrerai pas dans un débat qui consisterait à dire que l'État doit assurer la valeur d'une entreprise dès qu'il y a une concurrence. Je ne suis pas d'accord avec cette vision. Il y a des dizaines d'entrepreneurs en France qui n'ont pas réussi et qui ne se sont pas directement retournés vers le gouvernement pour lui demander de mettre un terme aux activités de leurs compétiteurs. Je prends un seul exemple à propos de la licence. Aux États-Unis, à New York, il y a 42 000 VTC pour 13 000 taxis. Le prix de la licence, qui voisine autour des 500 000 $, n'a pratiquement pas bougé depuis quatre ans. On voit bien que le poids des VTC est loin d'être un handicap dans le prix de l'activité d'un taxi à New York.
Je voudrais revenir un court instant sur ce que je vous disais au tout début de cet entretien. Nous sommes loin d'être opposés au décret qui a été pris mais nous ne comprenons pas que l'on puisse légiférer pour empêcher un client de faire l'acquisition du service de son choix quand il le souhaite. Ce point là nous paraît particulièrement négatif.

DéplacementsPros : Cette profession du VTC est jeune, comment peut-elle évoluer ?

Yannis Kiansky : Incontestablement avec des règles précises qui ne pénalisent pas une activité plus qu'une autre. Si la maraude a donné une mauvaise image des VTC, elle ne nous concerne pas. Je le répète, nous ne sommes pas en concurrence directe avec les taxis, je leur demande d'accepter l'idée que nous exerçons notre métier différemment d'eux, avec des règles adaptées à notre activité et dans le respect des demandes de nos clients. Je crois que sur ce point, nous sommes tous d'accord. Le dialogue entre nous est essentiel pour nous retrouver avec les taxis dans le seul et unique intérêt des clients qui nous font confiance.

Entretien réalisé par Marcel Lévy.i[