Tribune J. Etchanchu – COP 28 : le succès, l’idiot utile et le business travel

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Tribuune J. Etchanchu - COP 28 : le succès, l'idiot utile et le business travel

En quatre points saillants, Julien Etchanchu, du cabinet Advito, tire un bilan éclairant de la COP 28.

1- (comme toujours) un succès diplomatique

En exagérant un peu, on pourrait dire qu’une COP est un succès avant même de
commencer. Elle est en effet probablement le dernier bastion du multilatéralisme qui
marche : la tribune offerte aux petits pays est une vraie respiration démocratique mondiale, et on a encore assisté à des plaidoiries vibrantes de petits états insulaires du Pacifique notamment. Dans quelle autre instance ces petits Etats à peu près ignorés à l’OMC, à Davos ou (évidemment) au G20 ont-ils voix au chapitre ?
On peut également rendre hommage au Sultan Al Jaber, Président de la COP, dont la
crédibilité était bien entamée avant même le début des négociations (on rappelle qu’il est
ministre de l’industrie d’un état pétrolier…), mais qui a finalement réussi à arracher un
accord que personne n’imaginait à quelques heures de la clôture. En effet, si qualifier
d’ « historique » cette COP28, à l’instar de certains dirigeants, est un peu exagéré, elle a en revanche failli devenir historique dans le mauvais sens : dans sa première version et sous les coups de boutoir de l’OPEP, le texte final, vague et vide de substance, semblait enterrer toute ambition, avant un revirement final assez marquant.

2- Voldemort est démasqué…

Aussi incroyable que cela puisse paraître, jamais les énergies fossiles n’avaient été
mentionnées dans le texte final des précédentes COP. On a donc enfin osé prononcer, et
même écrire « fossil fuel », et, dans des négociations ou chaque mot (« phase out »,
« unabated »…etc.) peut-être discuté pendant des heures, voire des jours, ce n’est pas une
mince victoire. Elle ancre une fois pour toute, et de manière officielle, que les énergies
fossiles sont responsables du changement climatique, et qu’il faut à terme en sortir.
C’est probablement l’avancée la plus spectaculaire, mais l’on peut en citer d’autres, comme
la création d’un fonds pertes et préjudices (qui acte quelque part la responsabilité des pays
du Nord dans la crise climatique), le triplement des énergies renouvelables d’ici 2030, le
doublement de l’efficacité énergétique ou encore la création d’un « Health » day qui fait
clairement le lien entre changement climatique et santé (rappelons que les énergies fossiles tuent 5 millions de personnes chaque année).

3- … mais il a une arme secrète

Et cette arme s’appelle stockage et capture du carbone, CCS (Carbon Capture and Storage et DAC (Direct Air Capture). C’est probablement le gros point noir de cette COP, qui fait la part belle à cette technologie à des années-lumière des ordres de grandeur nécessaires : malgré les promesses et les milliards engloutis depuis 25 ans (on parlait déjà des CCS à Kyoto en 1997 !), seules une trentaine d’installations existent dans le monde, capturant environ 45 millions de tonnes par an, soit un royal 0.12% des émissions mondiales. Mais outre ces performances dérisoires, le CCS recèle un effet pervers : il permet de maintenir en activité des activités extrêmement polluantes (exemple une centrale à charbon), pourvu qu’on projette d’y installer l’aspirateur à CO2 (le CCUS). Ainsi, la valeur financière de l’actif (la centrale) ne baisse pas, ce qui bloque de fait les investissements vers des alternatives plus vertueuses. A bien des égards, on peut donc voir DAC et CCS comme les « idiots utiles » des pétroliers dont le lobbying intense sur le sujet a été récompensé.
Un vrai pas en arrière donc, au milieu d’autres nouvelles peu réjouissantes (aucune mesure
contraignante pour les Etats, promotion du gaz comme énergie de transition, etc.)

4- Et le business travel alors ?

Sans être aussi pessimiste que Jean-Marc Jancovici (« le secteur aérien est né avec le pétrole et mourra avec le pétrole »), il est évident qu’une explicite mention de sortie des énergies fossiles n’est pas neutre pour un secteur qui brûle 14.000 litres de pétrole par…seconde. De manière plus positive, l’efficacité énergétique est plus que jamais un sujet brûlant, et le renouvellement de la flotte reste clairement la meilleure arme du secteur sur le sujet.
L’essor des énergies renouvelables, lui, devrait par ricochet bénéficier au secteur hôtelier
ainsi qu’à la voiture électrique.
En revanche, difficile de ne pas faire le parallèle entre les CCS et le SAF. Même solution
séduisante sur le papier, mêmes promesses non tenues (rappelons que IATA avait promis
10% de SAF pour 2017 !) et probablement mêmes désillusions à venir : les objectifs de SAF vont se heurter aux réalités physiques de la planète… et ça a déjà commencé ! En Europe, de gros soupçons pèsent aujourd’hui sur l’huile de friture importée d’Asie (très
vraisemblablement mixée à de l’huile de palme). Et aux Etats-Unis, le lobbying commence à s’activer pour pouvoir utiliser des biocarburants de première génération (ex maïs) et non
des déchets) pour produire le SAF. Enfin, on commence également à parler de LCAF (low
carbon aviation fuel) – du kérosène un peu amélioré en gros – logique quand on réalise
l’immensité des ressources nécessaires pour produire du SAF.

En étant optimiste, on peut espérer que les objectifs fixés par l’Union Européenne ne seront
jamais revus à la baisse, car la seule solution pour les atteindre serait alors probablement de réduire la flotte. Se posera alors clairement la question de « managing demand ». Mais ça, ce sera pour une autre COP !