Huit mois après, la fusion des deux startups se finalise. Symboliquement : un rebranding. Concrètement : une plateforme commune. Arnaud Katz, CEO, nous explique la démarche et les ambitions d'un acteur du MICE désormais majeur, dans d'un entretien passionnant.
Le nouveau logo de Kactus (voir ci-dessous) incite à une nouvelle prononciation. On prononce la finale “us” comme le “nous” anglais. C’est bien l’idée que les events organisés dans vos lieux permettent aux participants d’être ensemble ?
Arnaud Katz : Exactement. On permet aux gens de se retrouver. Le but était de conserver la dimension internationale du nom, en lui donnant un nouveau sens grâce au logo qui isole le “us”, le nous anglais.
C’est malin mais vous vous privez du côté événementiel d’un rebranding plein et entier…
Avoir un nouveau nom aurait fait perdre du temps et de l’argent, notamment en termes de référencement naturel, ce qui est déterminant pour nous. Si, dans un moteur de recherche, je ne remonte pas en pôle position sur "séminaires Paris" par exemple, ça peut vraiment nous porter préjudice. Certes, on perd le référencement “BirdOffice”, mais c’est beaucoup moins préjudiciable car 90% des revenus du BirdOffice historique, ce sont des contrats cadres avec des grands comptes - or, la marque est peu importante pour eux, et ils n’arrivent pas chez nous via Google. Tandis que le revenu de Kactus, c’est la marketplace. Changer de nom, c’était effacer six années de travail en termes de référencement.
Et bien sûr ce rebranding correspond à la fusion des plateformes BirdOffice et Kactus qui étaient toujours disjointes, malgré votre fusion capitalistique, il y a 8 mois. Pourquoi un tel laps de temps ?
Déjà, techniquement, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. Et il y avait un paramètre en plus, un problème de riche, si j’ose dire : l’événement repartait très fort à ce moment-là et on ne voulait pas freiner cet élan en nous focalisant excessivement sur ces problèmes techniques. De fait, nous avons bien fait de prendre notre temps puisqu’entre septembre 2022 et mars 2023, on a doublé notre revenu - on avait prévu 80 M€ de chiffre d’affaires, on sera certainement au-delà sur cet exercice.
Quelles sont les différences entre les offres ex-BirdOffice et ex-Kactus et en quoi sont-elles complémentaires ?
BirdOffice est historiquement une plateforme de salles de réunion. Tandis que le Kactus historique est davantage dédié aux gros séminaires, souvent résidentiels, "au vert". Dès lors, naturellement, ces différences dans la typologie des événements influent sur la localisation de nos lieux : les premiers sont très urbains, les seconds davantage dans la ruralité ou le périurbain et ils représentent aujourd’hui 40% de notre business. Typiquement, le modèle BirdOffice, c’est GRDF ou Orano (ex-Areva) qui ferment leur siège en petite couronne. Ces boîtes industrielles ont des sites partout et leurs équipes ont énormément besoin de se retrouver, de se parler. Pour ce type de clients, ce sont cinq ou six salles à Paris, par jour. C’est ce qui nous a fait passer de zéro en 2015 à 15 M€ de CA avant le Covid. Ce sont donc deux modèles de réservation industrialisés qui se rencontrent, l’un pour la réunion, l’autre pour le séminaire.
Vous êtes finalement une sorte de Booking.com de la réservation de lieux événementiels. Pourtant, vous vous proposez d’accompagner le client. Personnellement, jamais Booking ne m’a aidé à trouver l’hôtel parfait pour mon séjour…
Vous avez mis le doigt sur une problématique qui a été à la base de notre création. Pendant très longtemps on a cru qu’il n’y avait que des entreprises d’événementiel ou des venue finders qui pouvaient se charger de la résa d'un event - pour vérifier la dispo, conseiller… Nous, on a tenté la rupture en digitalisant ce process. Donc pour la partie plateforme, avec une volonté de transformer l’expérience de la réservation - j’ajoute qu’il n’y a pas que des salles, chez nous : également des traiteurs, des transferts pour les collaborateurs…, la référence à Booking me convient.
Mais dans l’événementiel d’entreprise, les clients ont un très grand besoin de réassurance et donc on a effectivement développé cette activité “responsabilité”, “accompagnement” en mettant des humains aux bons endroits. Chez les acteurs traditionnels, les humains passent le plus clair de leur temps à effectuer des tâches logistiques. Nous, on ne le fait pas. Ce sont nos clients qui construisent leur proposition commerciale sur la plateforme. Et nos conseillers sont disponibles au téléphone pour orienter le client... Mais la machine, grâce à ses critères de matching, aura fait 90% du job.
Résultat : quand une entreprise événementielle, avec une centaine de collaborateurs comme nous, peut produire une cinquantaine d’événements par mois, nous, on en fait 2.000.
Mais vos conseillers n’ont pas les instigateurs des 2.000 events mensuels au téléphone !
Sur la partie marketplace, au-dessous de 8 ou 10.000€, pas de téléphone. Sur ces events, la machine est assez perfectionnée pour qu’on n’en ait pas besoin. Pour les grands comptes, l’appel téléphonique est toujours possible. Concrètement, pour les gros events, en fonction des critères, trois lieux, par exemple, vont être sélectionnés et mis en concurrence : ils construisent leur devis comme dans un mini appel d’offres. Et nous, nous observons le bon déroulé de l’opération pour intervenir au besoin, du brief du client jusqu’au devis des lieux. Donc, en fait, je disais que je mettais les clients à contribution dans la construction de l’offre commerciale, mais également les lieux ! C’est une forme d’externalisation du travail que j’assume d’autant mieux, que c’est leur métier, c’est eux les mieux placés pour le faire !
A présent que le nouveau Kactus est vraiment né. Quels sont votre stratégie de croissance et vos objectifs ?
Je vais commencer par ce qu’on ne veut pas : on ne veut pas faire de développements horizontaux autour de notre cœur de métier. On ne veut pas faire du travel, de l’hôtellerie individuelle, de la restauration de groupe, etc. On ne marchera pas sur les platebandes des autres. On considère que ce serait un frein à notre développement. On veut être hyper fort sur un seul latéral business : le séminaire, la réunion, la soirée, le team-building.
Nous avons réussi en 7 ans, contrairement à certains acteurs disruptifs américains du business travel, je pense à Navan, à décrocher des grands comptes : EDF, La Poste, Engie, Bouygues Construction, Danone, Orano (ex-Areva)... On a rentré La Poste en février, qui nous passe aujourd'hui sept ou huit commandes par jour. Je suis en train de réfléchir à un case study pour leur faire raconter comment ils voient les choses sur ce sujet car on a vraiment créé de la valeur. Donc, contrairement à ce que nous conseillent nos investisseurs, nous allons rester sur notre métier, qu'on fait bien. Et c’est vrai que maintenant on commence à être un peu gros pour la France...
D’où la volonté d’un branding international…
Oui mais je vais être plus prudent que quand j’étais un jeune startuper. Contrairement à ce que je croyais il y a encore 3 ou 4 ans, ouvrir un pays n’est pas aussi facile à faire qu'à dire. Je pense que ça n’arrivera qu’en fin d’année.
Vous avez déjà des lieux à Londres, en Belgique ou en Suisse. Ca ne donne donc pas les résultats escomptés ?
Les lieux dont vous parlez n’ont été que du test. Aujourd’hui, en France, sur la partie “événementiel”, nous sommes certainement les plus gros. Plus gros, en tout cas, qu’Amex GBT, CWT… et même peut-être des deux réunis. Pas un d’entre eux, en tout cas, n’a atteint notre taille critique. On ne peut plus se comporter comme des gosses qui ont monté une boîte, on a des responsabilités, 100 collaborateurs. En tant qu’entrepreneur et dirigeant, mon métier change. J’ai donc envie de construire une boîte tech qui soit capable de grossir de 100% par an, comme le font les meilleurs technologies qui offrent de la rupture, mais pas en faisant n’importe quoi. En conséquence, si demain j’ouvre Londres, je veux la bonne équipe, la bonne maturité… sinon je risque de tout détruire.
La fougue du startuper fait donc place à la prudence du chef d’entreprise responsable. Dès lors, est-ce prématuré de vous demander les marchés qui sont visés ?
Avant l’été, on va ouvrir la Belgique car c’est un engagement que nous avons pris auprès de clients français - notamment EDF et Engie (qui ne veulent pas y ouvrir d’appels d’offres locaux). Mais la prochaine ouverture, très clairement, c’est Londres car le marché est aussi grand que Paris et il n’y a pas d’acteurs aussi gros que nous qui s’y trouvent.
Vous parlez d’Engie et EDF pour Bruxelles. Votre stratégie consiste donc à vous appuyer sur de gros clients français pour vous internationaliser ?
Il y a deux leviers. Celui que vous décrivez. Et aussi, le marketplace où nous sommes en train de faire un boulot très méticuleux pour être référencé dans ces pays. L’objectif : quand on recherche “meeting room London”, qu'on soit les premiers à remonter. Ça rapporte tout de suite du revenu, je ne le cache pas, car on a déjà commencé.
Vous avez évoqué le doublement de votre CA. C’est donc que le marché du MICE se porte bien…
C’est une période très excitante. Alors que nos amis du business travel parlent de la taille de leur marché qui diminue, pour nous, il est plus gros qu’il ne l’a jamais été. Concrètement, sur notre secteur, une entreprise qui fait -20 ou 30%, ça veut dire que c’est un concurrent qui a pris. Je pense que le marché a augmenté de 20%. La transformation de l’organisation du travail, dont on a beaucoup parlé, y contribue. C’est toujours vrai mais on est, selon moi, passé à une autre phase : en plus de ce phénomène, on traverse une période un peu bizarre où le tertiaire se porte bien, en fait, mais qui a enclenché des réorganisations. Il faut parler aux équipes : c’est bon pour le MICE. C’est paradoxal au niveau macro-économique : tout le monde a de bons chiffres mais tout le monde s’attend à en avoir de mauvais. Je n’ai pas envie, au niveau marketing, de dire “réunissez-vous, ça rassurera vos équipes”, mais c’est un peu ce qui se passe… D’ailleurs, le secteur qui est le plus en croissance, chez nous, c’est le séminaire “au vert”. Se rencontrer, se rassurer…