[Exclu] Moncef Khanfir : “WonderMiles, c’est une plateforme pour contourner le verrou mortel des GDS”

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[Exclu] Moncef Khanfir : “WonderMiles, c’est une plateforme pour contourner le verrou mortel des GDS”

Directement ou indirectement impliqué dans les créations de KDS, de la première version d’Egencia et de iAlbatros (Rydoo Travel), autant dire qu’en matière d’innovations dans le travel, Moncef Khanfir en impose. Il présente en exclusivité son dernier-né, WonderMiles, qu’il considère comme “révolutionnaire”.

Vous rendez publique, en exclusivité dans DéplacementsPros, la solution WonderMiles (WM). De quoi s’agit-il ?

Moncef Khanfir : C’est une plateforme collaborative destinée aux agences de voyage et en particulier les TMC. Aujourd’hui, alors que celles-ci sont en grandes difficultés et enferrées dans des modèles d’un autre âge, de nouveaux entrants tentent de leur tailler des croupières via des solutions destinées aux corporates. WM se propose de rendre de facto aux TMC le contrôle de leur business par le biais d’une technologie avant-gardiste et indépendante des acteurs qui ont verrouillé le monde de la distribution et imposé leur dictat via une technologie qui prend racine dans l’informatique des années 80. 

Ces modèles informatiques d’un autre âge, on comprend qu’il s’agit des GDS… En quoi les tenez-vous responsables de la situation critique des TMC ?

Les GDS constituent aujourd’hui un verrou mortel pour les TMC. Est-ce sensé, par exemple, de réserver un hôtel sur booking.com et de créer un segment passif dans le GDS ? Non bien sûr, et l’objectif, derrière ces manipulations insensées, est tout simplement de permettre à la TMC de recevoir un PNR (un dossier de réservation) via une interface propriétaire du GDS qui alimente le BO pour pouvoir procéder à la facturation…  Ne serait-il pas plus facile d’envoyer la réservation hôtelière directement au BO via un web service ? Deuxième question qui s’impose : alors qu’un SBT réserve le contenu train dans le système de la SNCF, pourquoi l’émission du billet se fait-elle dans Amadeus, moyennant une pirouette abracadabrantesque dont l’unique but est de ferrer la TMC à l’offre GDS ? Ensuite, une TMC en France ne peut pas changer de GDS… Pourquoi ? Tout simplement parce que les outils de production sont bâtis autour du GDS et du formatage psychologique et intellectuel des agents de voyages qui sont imperméables au change management à cause d’un historique biaisé ancré depuis des décennies. L’ensemble de ces éléments constitue incontestablement des freins qui mettent en danger la pérennité de la TMC in fine. Enfin, pourquoi les profils voyageurs, données sensibles s’il en est, censés appartenir à la TMC sont-ils stockés dans le GDS ? Qui a la responsabilité juridique sur cette data ? Pourquoi la TMC (hormis Amex GBT et CWT) n’a-t-elle pas sa propre base maître ? Autant de déformations structurelles qui ne servent finalement qu’à aliéner la TMC à la distribution via les GDS.

Et on se doute que WM se propose de faire sauter ces verrous…

WM permet, de façon transparente, de réserver de façon uniforme le contenu quelle que soit la source, avec un accès transparent à toutes les sources de contenus et une cinématique unique pour tous les actes d’achat. Et permet aussi aux TMCs de disposer de leviers pour vendre en toute transparence le contenu de leur choix, de bâtir des alliances avec des fournisseurs, et également de les changer si cela ne convient pas à leurs objectifs business. 

Vous parlez d’une résistance au changement des TMC. Vous ne niez donc pas leur part de responsabilité dans cette dépendance aux GDS…

Le change management est effectivement peu évident dans les agences de voyage, car il y a eu comme un lavage de cerveaux. Le GDS, c'est le meilleur moyen d'encourager l’immobilisme des agences. Toutes les limites aux développements sont la conséquence des lourdeurs imposées par les GDS. C’est un système que je combats depuis les années 1990, j'ai toujours fait les choses à côté d’eux. Nous avons noué un partenariat avec le GIE Asha, la centrale d’achats réunissant Havas et Selectour (voir plus bas, ndr) et Amadeus l’a su. Les contrats négociés par le GIE avec Amadeus sont depuis plus favorables au GIE. C’est bien la preuve qu’on vise juste. Mais il faut sortir du bluff, du challenging contractuel pour arriver à une situation où on donne aux gens la liberté de choisir alliances et partenariats et à quelles conditions. Et aux agences qui seraient favorables au statu quo, je dis : c ’est fini le temps des “super com”, on est sur une voie de garage, il faut d'autres solutions digitales qui permettent l’émergence d’un nouveau modèle de revenu.

Mais les GDS, ce sont aussi des solutions digitales. Que les agences ne savent pas mettre en place…

On dit aux agences : quelle est votre stratégie digitale ? C’est Amadeus, votre stratégie digitale ? A ce moment-là, tout le monde a une stratégie digitale ! Pas la peine de parler de digitalisation de la profession ! Il faut se reprendre en main. Bien sûr, Amadeus a ses vertus de GDS qui a permis au voyage de prendre son essor mais aujourd’hui on peut faire mieux. 

Quand vous parlez de nouveaux revenus pour les TMC permis par WM, ne parlez-vous pas en fait de nouvelles économies, liées au contournement des GDS ?

Non, il s’agit bien de nouveaux revenus qui s’ajoutent effectivement à ces économies dues à la désintermédiation. L’agent de voyage a un atout majeur : il connaît le client. Problème : il ne sait pas faire fructifier cette data pour permettre de l’upselling. Là, on s’inscrit dans le web 3, on est en plein machine-learning : la machine va utiliser ses connaissances pour proposer des services supplémentaires : un choix de siège, un fast track… Mais aussi de l’information : signaler qu’avec  le trafic constaté entre le lieu où se trouve le voyageur (qui est géolocalisé) et l’aéroport où il a un avion à 15h, il faut qu’il se mette en route, et, une fois dans le VTC, un message qui dit “l’embarquement se fera à telle porte”. Le type de gastronomie qu’on aime, un concert de Chopin à Varsovie, une option “yoga”... Automatiser ces exigences ou non… Les possibilités sont infinies, elles génèrent du revenu et augmentent la satisfaction voyageur. La jeune génération, il lui faut des messages courts. Nombreux mais courts. Et des réponses rapides. Je dis aux agences : avec WM, vous allez acheter du voyage, vous allez faire des packages de façon dynamique, vous allez référencer les fournisseurs qui vous amènent de bons revenus, vous allez pouvoir faire de l’upselling, proposer des prestations… Tout ce qui peut être automatisé le sera. Et les agents vont enfin pouvoir se muer en commerciaux.

Et les modifications de billets déjà achetés font-elles partie de ce qui peut être automatisé ?

Oui parce que WM est autant un UAT, Universal Agent Tool (Outil Agent de voyages) qu’un TPT, Travel Procurement Tool (le remplaçant du SBT/OBT) : ici, on parlera plutôt “d’achat de voyage” que “de réservation de voyage”. À titre d’exemple, en utilisant l’outil WM, l’utilisateur sera en mesure de modifier un billet émis, ajouter un fast track ou un siège, un repas, etc. au sein d’une même commande dont le billet a déjà été émis. Une telle action serait impossible à réaliser dans la gamme des SBT du marché. La notion de online/offline sera rendue caduque, puisqu’une commande sera accessible à la fois au voyageur et au service client. Cette architecture logicielle met à mal les SBT de l’ancienne génération conçus homogènement autour du paradigme GDS.

Donc la désintermédiation est à double entrée : entre agences et fournisseurs et entre voyageurs et fournisseurs. Reste qu’un grand nombre de ces derniers ne sont pas mûrs pour une telle connexion directe.

Aujourd'hui, en France, 80% des voyages, ce sont de l’hôtel Accor, du train, Air France et Easyjet. Et avec WM, c’est en direct ou ça le sera au Q1 2023. Concrètement on retire des pavés très onéreux dans la chaîne de valeurs. Et bien sûr s’ajoute le plaisir pour le voyageur d’être sur une plateforme où il a directement accès à tous ces opérateurs avec les mêmes fonctionnalités que sur leur propre site. Et pour le reste, eh bien, on le sait : le GDS est là, et est accessible via WM ! Si le GIE Asha fait bien son travail, propose une offre bien packagée, les gens vont constater des tarifs défiant toute concurrence (en comparant contenu GDS/contenu direct) et là, l’agence va pouvoir s’attacher à la négo.

Avec cette promesse de contournement des GDS, ne liez-vous pas la réussite de WM à celle des NDC ?

WM existe et propose une solution révolutionnaire, quoiqu’il en soit. Mais c’est vrai que le système est d’autant plus performant que les connexions directes avec les compagnies aériennes sont nombreuses et de bonne qualité. Aujourd'hui, NDC, ce sont 10% des ventes mondiales de l’aérien mais ça va monter graduellement. Et WM, en proposant de choisir son billet sans discrimination entre les sources, contribuera à cette montée en puissance. Il est vrai que ça prend du temps et les API sont inégales selon les compagnies… Les compagnies ne sont pas des foudres de guerre en IT. Et quand on demande un développement à Amadeus, il faut faire un change request qui passe par le chef de projet, qui va parler à son responsable, qui va en parler dans le comité de produit, qui va escalader pour le sponsor… Il y a au moins 7 échelons pour arriver à un “oui” ou un “non” au bout de 6 mois au mieux. Alors qu’avec la startup “Moncef dans son garage”, c’est livré au bout d’une semaine. De plus, le gars d’Amadeus qui est tranquillement installé à Sophia-Antipolis - c’est très beau, le temps est radieux, si ce n’est pas fait demain, son salaire est quand même réglé. Ce n’est pas le même stress, pas le même dévouement… Quand on a faim, on se bat. 

Puisque vous parlez “timing”, combien de temps vous a-t-il fallu pour connecter WM aux agences du réseau GIE Asha que vous évoquez plus haut ?

D’abord, quelques mots sur ce partenariat. Le GIE Asha a effectivement noué un partenariat fort avec WM qui lui donne accès à une source d’innovation inédite via une équipe R&D de classe mondiale. Autre donnée d’envergure : le GIE a souscrit à 5% du capital de WM, mais n’a aucun pouvoir de blocage. À date, 1.200 agences “loisir” sont connectées à la plateforme et la partie business travel sera déployée en 2023. Cela nous a pris un trimestre. Auquel il faut ajouter le travail de connexion des fournisseurs. En tout, environ une année, à laquelle succèdent des webinars de change management auprès des agents. Ils sont nécessaires mais je vous assure que c’est d’une très grande simplicité.

Vous parlez de ce qu’offre WM, parlons de ce que la solution n’offre pas. Ce n’est pas du “all-in-one” à l’image d’un TripActions, par exemple.

Notre stratégie, c’est de solidifier les fondations avant d’ajouter d’autres étages. Pour la partie “note de frais” et “moyen de paiement”, nous avons établi un partenariat avec, respectivement, Expensia et Viva Wallet. Mais le développement de nos solutions “maison” dans ces domaines est dans notre tête même si ce n’est, pour l’heure, pas d’actualité. Et c’est en cela que votre comparaison avec TripActions est pertinente. Cette société n’est pas positionnée comme une agence de voyages mais comme une fintech. Dans ces conditions, on ne parle pas aux mêmes investisseurs, les bourses réagissent différemment, ça génère des valorisations d’une ampleur bien supérieure. C’est très inspirant. Mais il y a entre nous une différence majeure : nous fournissons une solution aux TMC quand eux s’en font les concurrents. 

Justement, la question s’impose : pourquoi ne pas vendre WM directement aux entreprises ? Dans ce cas, de “sauveur” des TMC vous deviendriez leur exécuteur…

Ça pourrait être envisagé de cette façon, c’est vrai… Et c’est en gros ce qu’a fait TripActions. en créant son propre code IATA, c’est vrai aussi. Pour l’instant, nous sommes très pragmatiques. Il y a des clients qui sont figés dans des TMC, nous proposons à ces TMC le service qui leur manque pour bien satisfaire ces clients. Mais je ne peux pas nier que certains de nos investisseurs nous ont déjà soufflé l’idée de la vente directe aux entreprises. Nous n’en sommes pas du tout là. Nous n’arrivons pas avec un SBT en plus, auquel cas nous ne trouverions pas notre place. Notre solution est d’une autre génération et le soutien qu’il propose aux TMC, qui devrait les séduire, suffira à nos revenus. D’autant que les TMC sont importantes pour le conseil ou les demandes qui sortent de l'ordinaire. On ne peut pas traiter 100% des voyages. Seulement 80 ou 90%, ça nous suffit.

Vous avez évoqué vos éventuels développements technologiques. Qu’en est-il du commercial, notamment à l’étranger ?

En France, pour l’heure, le GIE Asha nous convient parfaitement. Quant à l’étranger… WM a signé un partenariat de distribution en Italie avec la société ACI Blueteam, membre du réseau FCM. Grâce à ce partenariat, le mastodonte italien Welcome Travel Group a résolument opté pour la solution WM. Nous sommes également présents en Pologne. Mais la prochaine grosse étape, c’est l’ouverture de nos bureaux à New York. A cause de la taille du marché mais aussi parce que c’est là-bas que nous comptons faire notre prochaine levée de fonds. Pour ce faire, nous rebaptiserons vraisemblablement WonderMiles pour “camoufler” ses origines européennes car les Américains aiment les sociétés françaises… mais seulement pour venir secourir les vainqueurs, comme Amex GBT avec Egencia…