IATA, un combat perdu d’avance ?

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Le président de Misterfly, Nicolas Brumelot, est appuyé par les EDV et de nombreux confrères dans sa joute contre IATA. Malheureusement rien ne bouge malgré l’escalade des actions, et ce, pour plusieurs raisons. IATA, un combat perdu d’avance ?

Nos collègues de l’Echo Touristique nous informaient de la mise en demeure de IATA par Misterfly. Cette action intervient une semaine après la lettre ouverte envoyée par Nicolas Brumelot, Président de Misterfly à Alexandre de Juniac, Directeur général de IATA, action que nous commentions dans notre article du 23 mars 2020. En cause : le non-remboursement des billets non volés par certaines compagnies aériennes.

Comme le fait remarquer Fabrice Dariot, Directeur de Bourse des Vols, le mutisme de IATA n’est pas tolérable car de fait, il cautionne l’action de certains de ses membres qui agissent à l’encontre des intérêts du marché et des réglementations (le 261/2004 de la réglementation européenne en particulier) en ne remboursant pas les agences de voyages.

Pour mémoire, IATA est une énorme machine qui fut élaborée pour édicter des normes visant à organiser et sécuriser l’activité de transport aérien. Par extension, IATA a également couvert le volet financier de l’activité en instaurant le BSP, une véritable machine de guerre financière qui permet aux membres de IATA de s’affranchir de problèmes potentiels de paiement de la part des distributeurs. Pour être certifié IATA et accéder au BSP, il faut donner des garanties et approuver un contrat non négociable auquel toutes dérogations conduiront inexorablement à un « déplaquage » du fautif. Moralité, la majorité de la distribution suit et seules quelques associations comme l’ECTAA montent véritablement au créneau pour faire contrepoids et porter la voix de la distribution..

Les EDV entrent en scène et les Etats entrent en jeu

Les EDV appuient la position de Misterfly et engagent ses adhérents à appuyer la demande de Nicolas Brumelot auprès de IATA. Mais encore une fois, celui qui n’applique pas le règlement européen 261/2004 n’est pas IATA, mais bien les transporteurs membres de l’association. Alors pourquoi les distributeurs n’agissent-ils pas en masse pour contrer les décisions unilatérales de ces compagnies fautives en bloquant les paiements du BSP afin de faire réagir IATA et de pousser celle-ci à faire respecter les engagements nationaux ? Certes, il y a le risque de « déplaquage » des insoumis, mais l’effet de masse pourrait certainement produire les effets escomptés.

Au lieu de ça, certains Etats se complaisent dans le mutisme de IATA et légifèrent afin de protéger leur transporteur national. C’est ce qui vient de se passer aux Pays-Bas puisque par une ordonnance du 25 Mars autorise les opérateurs néerlandais (et donc le Groupe Airfrance-KLM) de déroger à l’article 8 (1) (a) du règlement européen 261/2004. Les clients dont les vols ont été annulés et non remplacés ne seront donc pas remboursés dans les 7 jours, mais obtiendront un avoir équivalant la valeur du segment non volé valable pour une durée de 12 mois. À l’issue de cette période, le client pourra se faire rembourser.

Dans cette décision et cette demande de prise en compte à la Commission européenne, le gouvernement néerlandais dit privilégier la protection des compagnies plutôt que celle des voyageurs. Et la distribution dans tout ça ?

Un rapport de force inégal

Il est fort à parier que le gouvernement français suivra le même chemin. En France, l’acteur principal fournissant la distribution en services est le Groupe Air France-KLM et ses filiales. Celui-là même qui rapatrie pas mal de clients bloqués aux quatre coins du monde et qui vient de dévisser en bourse. Alors certes, bloquer les paiements ne lui rendrait pas service, mais cela permettrait d’assainir la situation en instaurant un véritable dialogue et une relation client-fournisseur, voire clients/actionnaires dont tous les acteurs sortiraient grandis et plus forts.

Assainir les relations permettrait également de faire jour une véritable concurrence voire même de redéfinir la relation mandant/mandataire qui, à la vue des conditions appliquées par les compagnies, n’a plus raison d’être.

Et le business travel dans tout ça ?

Qui a le courage de dire haut et fort comme le fait Nicolas Brumelot que la situation est inacceptable ? Que disent les TMC et les agences dédiées aux déplacements professionnels ? L’histoire des avoirs est doublement pénalisante pour eux, car ils vont devoir retraiter en manuel des re-réservations en mettant en place un process spécifique. Et à la fin de la période de validité des avoirs ? Qui se fera rembourser ?  Le collaborateur ou bien la société ? Quelle sera la valeur ajoutée de l’agence ? C’est certain, il y aura pas mal de litiges à traiter dans un an.

Ce mutisme est étonnant sachant que les acteurs de la distribution des voyages d’affaires ne sont pas accaparés par l’opérationnel qui à ce jour est tombé à zéro. Alors qui va assumer et mettre ce qui fâche sur la table ? Les associations ? Apparemment non. Les décideurs et les donneurs d’ordres (travel manager, acheteurs, DAF…) ? Comme d’hab !…

Il y a pourtant un précédent

Le fret aérien avait subi la même pression de la part des compagnies. Les acteurs de la logistique (les transitaires) n’avaient pas attaqué IATA, simple représentant des compagnies éditant des résolutions qui ont force de loi nonobstant les réglementations des Etats. Ils avaient assigné 11 compagnies aériennes auprès de la Commission européenne. C’est ainsi qu’en 2017, une amende record de 776 M€ a été confirmée et infligée à certains des transporteurs incriminés, dont 183 M€ à Air France pour entente illégale sur les taux de fret.

La morale de l’histoire

Qu’un acteur parle, c’est bien, il devrait aller encore plus loin avec le support de ses pairs en attaquant le mal à la racine. Cela permettrait de remettre les pendules à zéro et de rebâtir une structure protégeant le marché fragile du transport aérien. Dépoussiérer une institution vieille de plus de 70 ans, qui n’a jamais réellement changé malgré l’évolution des technologies et de la consommation, est plus que nécessaire. Le monde a besoin d’acteurs forts et non de petits gars bien sympathiques.

Le monde des achats et de la vente se bat pour mettre en place des relations saines, durables et profitables. Voici une occasion unique d’appliquer ces règles de bonne conduite au marché des déplacements (touristiques et professionnels) qui en a tellement besoin et de repartir sur des bases saines. 

Il y a eu des crises, il y en a et il y en aura. Alors, autant se préparer à la prochaine en agissant de façon proactive. Victor Hugo disait : « Le plus excellent symbole du peuple, c’est le pavé. On marche dessus jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête ». Qu’on se le dise…