Longs, chronophages, mal sourcés, mal ficelés : les appels d’offres du business travel

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Longs, chronophages, mal sourcés, mal ficelés : les appels d'offres du business travel
De gauche à droite : Aurélien Rodriguez (HCorpo), Anaïs Laledj (FCM), Antoine Delesalle (Amex GBT), Héloïse Devau (Kactus), Audrey Serror (CDS Groupe), Sandrine Bailly (APECA).

Lors de l'IFTM, l'AFTM a organisé une conférence sur les appels d'offres et la supposée hypocrisie qui polluerait les relations clients-fournisseurs lors de ces moments cruciaux... Recension.

"Si on arrêtait l’hypocrisie en matière d’achat ?" C'est par cet intitulé un brin provocateur qu'une conférence AFTM a réuni, lors de la dernière édition du salon IFTM, cinq fournisseurs et une représentante des acheteurs publics pour parler "appels d'offres" (AO).

Des besoins mal identifiés par les acheteurs

C'est le gros point noir. Celui qui fait perdre du temps à tout le monde, crée de l'insatisfaction, est source de frustration. Il s'explique aussi par la complexité du voyage d'affaires.

Aurélien Rodriguez (HCorpo) : "Les AO sont souvent très larges. L'acheteur se fait le relai des demandes internes mais elles sont souvent peu précises. Je vais prendre un cas extrême mais réel : dans un AO, on nous a interrogés, nous, un HBT, sur du catering ou de la gestion de visas..."

Les tableaux Excel qui servent de canevas à de nombreux AO sont en conséquence souvent disproportionnés : "Quand on arrive à la colonne ZE, ça fait quand même beaucoup", sourit Anaïs Laledj (FCM) qui poursuit : "Dans ces colonnes, il faut répondre 'oui' ou 'non', alors que les vraies réponses, c'est davantage 'ça dépend'".

Et c'est l'aspect chronophage qu'induisent des RFP (Request for proposal : appel d'offres) mal ficelés qu'Antoine Delesalle (Amex GBT) souligne : "Le grand classique, quasi une constante, c'est 'On a mis en place un calendrier ambitieux'. En fait il faut comprendre 'intenable' ! Pour un fournisseur, solliciter les experts en interne, ça prend du temps !"

Tout en précisant que l'industrie du MICE n'a pas le niveau de maturité du business travel, même si les choses s'améliorent en termes de structuration des AO, Héloïse Devaux (Kactus) considère que "le répondant doit connaître les besoins de toutes les parties prenantes, pas seulement du service des achats qui ne devrait être qu'un chef d'orchestre".

KPI, SLA, WTF?

Conséquence de l'immaturité de certains acheteurs sur les sujets travel ou d'un manque de sourcing des besoins, des outils qui devraient permettre de fluidifier l'échange "appelant-répondant" (puis "client-fournisseur) perdent de leur pertinence.

Aurélien Rodriguez : "C'est parfois nous qui fixons les KPI (les indicateurs de performances, ndr) à la place du client !" Ou encore Antoine Delesalle à propos des SLA, ce service-level agreement, par lequel le fournisseur s'engage (contre pénalité) sur le niveau de qualité de sa prestation : "Les SLA doivent être bien placées. Par exemple, un temps de réponse téléphonique, ça n'a pas de sens quand le client attend une généralisation du online".

Et Audrey Serror (CDS Groupe) de souligner : "Très souvent, ce sont les fournisseurs qui proposent leurs propres SLA et ils diffèrent d'un répondant à l'autre. Dès lors l'acheteur n'a pas de moyen de comparaison".

It's the education, stupid

Si l'on décline ici la célèbre assertion de James Carville, c'est qu'ainsi remaniée, elle pourrait résumer le propos de Sandrine Bailly qui, bien que seule représentante des acheteurs en tant que présidente de l'APECA, met les pieds dans le plat : "Il faut que les fournisseurs arrêtent de se plaindre : si le marché n'est pas assez éduqué sur le sujet très complexe du voyage d'affaires, c'est leur responsabilité".

Aurélien Rodriguez acquiesce mais modère : "C'est vrai qu'il manque ce temps d'échange en dehors des AO. Il pourrait avoir lieu lors d'une phase de RFI (Request for interest), où les besoins et les demandes seraient sourcées (...) L'éducation du marché est de la responsabilité des fournisseurs, ok. Mais je reproche aux acheteurs de ne pas assez sourcer leurs besoins en interne. C'est la base ! On est parfois obligé de faire ce job-là nous-mêmes : contacter la RH, les donneurs d'ordres... Il faudrait qu'on travaille plus à l'anglo-saxonne : en business partner".

Antoine Delesalle est dubitatif sur les deux points : pour lui "les RFI ne sont rien d'autres que des RFP sans pricing. C'est la même complexité, le même temps passé". Quant à la pédagogie dont ne ferait pas assez preuve les fournisseurs, il n'y va pas par quatre chemins et la ligne droite est ironique : "A l'issue du salon, mon patron ne va pas me demander 'Est-ce que tu as bien éduqué le marché ?'"

Quand l'un des intervenants souligne que si l'éducation est assurée par les fournisseurs, elle est forcément biaisée, Sandrine Bailly qu'outre les cabinets de conseils, "il existe des endroits neutres pour informer, tels que l'AFTM ou l'APECA, par exemple". D'ailleurs, la même d'informer l'auditoire qu'APECA et AFTM ont le projet de rédiger une sorte de guideline de l'appel d'offres à destination des acheteurs travel publics.

Et donc, quelle hypocrisie ?

A vrai dire ce sont des manquements ou des limites qui ont été pointés lors de cette conférence. Comme le résume Audrey Serror : "Ce n'est pas de l'hypocrisie, ce sont des règles du jeu qui sont mal établies au départ."

Pourtant, de SLA dont les pénalités prévues ne seront jamais payées à des demandes clients que l'acheteur lui-même ne comprend pas, on aurait pu peut-être en trouver. Et quand, trop tardivement dans la conférence pour que ça donne lieu à débat, Sandrine Bailly a lancé : "Il n'y a pas du tout de transparence sur les coûts de la part des fournisseurs", on se dit que l'an prochain dans le même Espace Affaires, on peut imaginer une suite...