Les compagnies aériennes semblent vouloir passer la vitesse supérieure dans l'adoption de NDC comme canal de distribution. Reste à convaincre les agences. Etat des lieux des différentes stratégies...
"Finalement, on est tous là pour faire du business et donc personne n’a intérêt à déstabiliser l’ensemble du système". Cette assertion, à la sagesse fleurant bon les intérêts bien comptés, a été prononcée par Stéphane Ormand, VP Distribution d’Air France-KLM, à l’occasion d’une interview qu'il a récemment accordée à DeplacementsPros, consacrée à la stratégie NDC du groupe franco-néerlandais.
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Et cette considération résume bien une partie des éléments à prendre en compte par les transporteurs désireux d’opérer une bascule vers la New distribution capability (NDC). Comment, en effet, inciter les parties prenantes de la distribution (agrégateurs, TMC, SBT) à se mettre en ordre de marche sans trop brusquer des acteurs qui restent des partenaires indispensables à la bonne santé commerciale des compagnies ?
Typologie US
Le média Travel weekly a récemment établi une typologie des stratégies adoptées par les quatre plus grandes compagnies américaines. On peut la synthétiser comme suit :
L’offensive. C’est une stratégie de puissance, celle d’American Airlines. Non seulement la première compagnie mondiale a développé des capacités NDC qui sont maintenant déployées dans Sabre, Amadeus et Travelport, mais elle a également retiré 40% de son contenu des GDS supportés par Edifact. Annoncé en décembre 22, appliqué en avril 23. Sans coup férir.
L’incitation. Également adopteur précoce du NDC, United Airlines, dont le contenu NDC est compatible dans Amadeus et Sabre, n’a, quant à elle, pas retiré de tarifs des canaux Edifact. Néanmoins, grâce au NDC, United génère des offres au moment de la demande de tarif. Elle est là, l’incitation : les agences qui ne sont pas prêtes pour le NDC se privent des meilleures offres.
L’attentisme. C’est l’approche de Delta et elle est radicalement différente. Elle traduit une vision des choses que résument assez bien des propos récents de certains dirigeants de la compagnie : NDC est bien la technologie de distribution de demain… mais pas d'aujourd'hui. Jusqu'à ce que le NDC arrive à maturité, Delta travaille et travaillera avec les agrégateurs et les TMC dans le cadre traditionnel du GDS.
Le désintérêt. Pour Southwest, en bonne compagnie low cost, NDC n’est pas un sujet. Déjà Edifact ne constitue-t-il qu’un canal anecdotique : la LCC n'a commencé à y proposer un contenu complet qu’à partir de 2020. La culture de la distribution directe des LCC est tenace.
Et en Europe ?
Cette typologie, on en fait le pari, peut éclairer la stratégie des compagnies les plus importantes du business travel en Europe. Du moins dans les intentions des compagnies et le degré d’intensité de leur incitation. Mais avec une différence de taille quant aux leviers utilisés.
Aux Etats-Unis, en effet, aucune compagnie, même la plus offensive d’entre elles, n’utilise l’arme (ou la menace) d’une surcharge pour les agences qui utilisent les canaux Edifact. En Europe, c’est au contraire l’outil d’incitation le plus fréquent. Cette dissemblance est si criante qu’on ne peut que convoquer l’hypothèse d’une différence de mentalités. C’est comme si, Outre-Atlantique, la croyance en l’efficacité de la main invisible du marché, la confiance dans la rationalité de l’homo economicus étaient si fortes que le simple argument d’une absence des prix les plus attractifs dans les canaux historiques pouvait suffire à s’orienter vers NDC.
Cette différence étant posée, on pourrait établir la géographie qui suit…
L’offensive, modèle Luft
Le paradigme européen de l'offensivité porte la marque du Lufthansa Group : dès 2016, les compagnies (hors LCC) du groupe - Lufthansa, Brussels Airlines, Swiss, Austrian Airlines (et bientôt ITA) - font part, avec autorité, de leur volonté de basculer vers NDC. Depuis lors, les vols de ces transporteurs sont bien présents dans Edifact… Mais avec surcharge. Il ne faut pas minimiser l’acte fort du groupe, pionnier à l’époque : le courage, avant tout. Un courage supporté par la conviction du groupe que sa puissance est telle qu'il peut prendre le risque de perdre des parts de marché (ce qui fut effectivement le cas) pour profiter d’une longueur d’avance plus tard.
British Airways a emboîté le pas du groupe allemand deux ans plus tard. Certes, la compagnie britannique en est passée par des accords bilatéraux avec des agences, les exemptant, un temps, de surcharge GDS (les "private channels"), mais durant une année seulement : depuis 2019, la surcharge est bel et bien appliquée.
Le désintérêt, façon low cost
C’est la catégorie qui offre le plus de similitudes entre les Etats-Unis et l’Europe. A l’image de Southwest, les LCC du Vieux Continent ne regardent l’enjeu NDC que de très, très loin. Pour des raisons qui relèvent de la culture autant que du modèle économique, les deux s'interpénétrant : une distribution historiquement directe, ou via l’agrégateur Travelfusion, sans rémunération des agences, pour des coûts bien plus bas que pour les legacy.
Or, les coûts de distribution, ne l’oublions pas en dépit des discours sur la formidable personnalisation dont pourront bénéficier les voyageurs par la grâce du nouveau standard, sont le nerf de la guerre NDC. Donc pour Ryanair, EasyJet, ou même les LCC appartenant à des groupes, telles que Transavia ou Eurowings, NDC n’est pas un enjeu.
Notons en outre que certaines legacy auraient pu entrer dans cette catégorie il y a encore quelques mois ou semestres. Ce n’est plus le cas. Preuve que les choses bougent. Sauf pour les compagnies indiennes et chinoises dont les systèmes de distribution restent à part.
L’incitation et l’attentisme
Nous regroupons ces deux comportements, pourtant clairement séparés dans la typologie "américaine", pour deux raisons.
La première, évidente, tient au fait qu’il est parfois difficile de distinguer une position attentiste d’une incitation faiblarde. Que dire de la stratégie d’Air France-KLM ? Puisque le groupe franco-néerlandais promet que l’échéance "surcharge GDS" du 1er janvier 2024 sera tenue, elle se défendra d’être attentiste. Et quand Stéphane Ormand, responsable de la distribution, explique à DeplacementsPros la stratégie de son employeur (concernant le retrait d’Edifact de quelques tarifs bas en juin prochain - cité plus haut), il parle bien d’incitation. Sauf que ces private channels, qu’AF-KLM va supprimer d’autorité en fin d’année, sont prorogés depuis… 5 ans.
La deuxième raison de ce regroupement tient au fait qu’entre ces deux catégories, un principe de vase communicants s’est établi. On peut qualifier certaines compagnies de prudentes, mais attentistes, c’est désormais excessif pour la plupart d’entre elles. On aurait pu considérer ainsi le cas de la LATAM… Mais elle a annoncé il y a quelques jours, fin avril, la mise en place prochaine d’une surcharge GDS. Seules Korean Air, TAP Air Portugal et JAL font encore vivoter cette catégorie du "wait and see" - et encore la Portugaise et la Japonaise elles ont signé un partenariat respectivement avec Travelport et Amadeus à ce sujet.
En d’autres termes, l’incitation, prenant, parfois, la forme de suppression des tarifs les plus bas (souvent “loisirs”), le plus souvent de surcharges GDS est presque partout : les compagnies du Golfe (avec plus ou moins de célérité), Finnair, Iberia, Qantas, Singapore Airlines… Comme il fut dit à propos de la disparition des legacy de la catégorie “désintérêt” : les choses bougent.
Logiques d’alliance ?
Un fin observateur de ces choses nous a suggéré la possibilité qu’il y ait, dans ces différentes stratégies, des logiques d’alliances. Il est vrai que l’intransigeance d’American Airlines et de British Airways, toutes deux membres de Oneworld, pourrait donner quelque consistance à l’hypothèse. De même qu’une Skyteam qui serait dans une sorte d’entre-deux, à l’image de Delta et d’Air France-KLM.
Mais la démonstration ne tient pas jusqu’au bout : ainsi les positions différentes - certes pour des marchés tellement différents - de Delta et de la Luft, membres de la même Star Alliance. Mais quand on parle de NDC, la cohérence a généralement ses limites, en atteste le fait que la norme technologique NDC n’est pas la même, y compris entre deux compagnies sœurs comme Iberia et British Airways. Un standard différencié. Ca aussi, c’est nouveau...