Stéphane Reynaud (Egencia) : « Les clients aussi doivent être transparents »

190
Stéphane Reynaud (Egencia) :

Lors du dernier Carrefour des Experts GBTA, Stéphane Reynaud, Director Global Sales France d'Egencia, a entonné l'air à la mode de la transparence. Sauf que la sérénade s'adressait aux acheteurs. Il revient sur ce sujet.

Dans ce contexte inflationniste, les acheteurs appellent les fournisseurs à la transparence. De votre côté, en tant que distributeur (Egencia), ce sont les entreprises clientes que vous interpellez sur ce sujet…

Stéphane Reynaud : Oui, ça doit aller dans les deux sens, les clients aussi doivent s'y plier. La transparence, on m’en parle depuis 15 ans que je suis chez Egencia. C’est un vrai enjeu. Déjà côté client, donc. C’est un grand classique de devoir courir après de la donnée véridique, claire. C’est le cas, par exemple, quand l'acheteur nous présente un budget voyage sans ventilation. Y compris quand il s’agit d’un prospect travaillant déjà avec une TMC, ce qui est relativement incompréhensible. On a donc souvent des données parcellaires, peu précises. Certains acheteurs ont du mal à comprendre que les offres des agences, ce n’est pas du copié-collé "Voici ma grille frais, merci, au revoir". 

> Lire aussi : Les acheteurs demandent de la transparence

Vous voulez dire que vous établissez vos prix en fonction des marges envisageables elles mêmes fonction de la nature des dépenses…

Oui. Pour établir une grille de frais adaptée, il nous faut une ventilation. Un client qui dépense 10 M€ dont 5 M€ de train et 5 M€ d'hôtel, et un autre qui fait 5 M€ d’avion et 5 M€ d’hôtel, c'est le même budget mais ce n’est pas, pour nous, la même rentabilité, et donc, pour le client, pas la même grille de frais. 

Et c’est en cela que la transparence, la vraie, est obligatoirement réciproque. Moi aussi, je dois parler de mon business model, d’où viennent mes revenus, ce n’est pas un tabou que de dire que la plupart d’entre eux viennent de commissions fournisseur et de frais transaction. Et le fait d’expliquer que parmi eux, les plus rémunérateurs émanent de notre capacité à vendre de l’hôtel, et donc que je veux capter ces dépenses en particulier. Beaucoup d’agences en captent 15 à 20%. Nous, en moyenne, 70%. C’est notamment notre expérience de 20 ans au sein d'Expedia qui nous permet, en proposant une UX proche des plateformes de loisir, d’obtenir de tels scores. La question de la ventilation est donc importante sur cette question notamment : quelles sont vos dépenses hôtelières et combien avez-vous d’hôtels négociés, sachant que les hôtels négociés, ne nous rapportent rien. Et c’est à partir de là que j’établis la grille de frais.

Ces données imprécises de la part de prospects sont-elles volontaires. Y a-t-il parfois, par exemple, surévaluation des budgets pour faire baisser les prix ?

J’en ai vu tellement ! Pas toutes volontaires…

Et qu’est-ce qui se passe en pareil cas ? Y a-t-il une renégociation ?

Dans notre contrat, il y a une clause qui dit que si le budget réel est inférieur de 50% au budget estimé - ce qui est énorme - on rediscute la grille de frais. Ce n’est pas fréquent. Mais ça peut arriver et quand ce sont de gros budgets, ça peut faire mal. On essaye de comprendre pourquoi il y a un décalage et on peut effectivement aller jusqu' à la renégociation. Bien sûr, les écarts de 10 ou 20% liés à l’activité de l’entreprise, c’est différent, on ne peut pas passer notre vie à renégocier.

En outre, en tant que professionnel du voyage d’affaires, c’est ma responsabilité aussi de dire "ce client a telle activité dans tel secteur, par expérience, je sais quel sera son niveau de dépenses" - et de juger de sa crédibilité.

Ce défaut de données, est-ce une spécificité du midmarket auquel Egencia s’adresse ?

Je m’occupe des comptes qui dépensent plus de 2 millions, je le précise. Ma vision est donc meilleure sur cette typologie d’entreprises. Mais c’est vrai que lorsque la dépense est de moins de 2 millions, la donnée est très parcellaire et les questions concernant la transparence ne sont pas toujours comprises dans leurs enjeux par ces clients et prospects. Avec eux, nous nous gardons d’être trop challengeants, on part sur des estimations.

Au-delà de 5 ou 10 millions de voyage la vision commence à être satisfaisante, en général. Et il est vrai qu’un grand groupe a de la donnée. Mais même pour eux, sur l'hôtel, ça reste toujours un peu flou : beaucoup de leakage, une imprécision sur la répartition de la dépense hôtels négociés/non négociés…

Outre votre business model, jusqu’où va votre transparence à vous, TMC ? Elle est souvent ressentie comme insuffisante…

Je n’irai jamais jusqu’à annoncer ma commission Air France ou de tel hôtel. C’est top secret chez Egencia comme chez les autres agences. Et de toute façon, c’est variable - pour l’aérien, ça va dépendre de la route, de la concurrence avec le train etc. Concernant les hôtels… J’entends certains HBT prétendre "On touche 8% des hôtels et on reverse 4%" - ça m’étonne et j’ai discuté avec un hôtelier référencé chez CDS pour ne pas les citer, il n’était pas au courant de ces taux ! Les commissions d’un Accor ou d’un Hilton ne sont pas alignées, ça n‘existe pas, ça !

De toute façon, les gens savent très bien que les hôtels référencés chez Booking ou Expedia ou Hotel.com payaient 25% il y a 15 ou 20 ans. Que ce taux de commissionnement a tendance à baisser, est aujourd’hui autour de 15% et que ça finira à 10. C’est pour ça que ces distributeurs essayent d’avoir les contenus les plus larges pour compenser cette baisse. 

Concernant la transparence sur les tarifs... Mais il y a les OBT ! Les acheteurs peuvent simuler, faire des requêtes… Ils ont accès à tous les tarifs grâce à ces outils. Donc cette demande de transparence sur les tarifs me surprend. Nous, il faut qu’on soit transparent sur la facturation, et ça peut être très complexe : quand on réserve, qu’on annule après l’émission et qu’on rebooke en ajoutant un supplément bagage etc. 

À partir de là, ma préconisation aux acheteurs - qui n’est malheureusement que très peu suivie, c’est : "Mettez des scénarios dans vos appels d’offres !" J’ai déjà eu le cas de ces scenarios simples ou complexes auxquels on applique des cotations : le client sait à quoi s’attendre.

Il y a des agences comme Egencia où tous les outils pour tout retracer, les outils de reporting pour vérifier ce qui est facturé en temps réel existent. Et s’il y a un doute chez le client, qu’il récupère ses factures et fasse un audit auprès d’un cabinet ! En termes de transparence, on ne peut pas faire plus. 

Mais certains clients disent "Si ma transaction aérienne est couverte par la commission de la compagnie, pourquoi devrais-je payer ?"...

Je dois générer du revenu fournisseurs, du revenu transactionnel et multiplier mes sources de revenus (ça peut être par exemple le partage d’économie générée par un logiciel d’adaptation au continuous pricing). Les frais de transaction ont beaucoup baissé - maintenant, c'est fini, on a atteint un plancher - mais les commissions fournisseurs continuent de baisser. Mes commissions, c’est mon problème. Je ne vais pas dire "Parce que je touche un fee transactionnel, je ne touche pas de commission ou l’inverse…" Je dois financer des développements informatiques, des investissements, je délivre un service...

Monsieur Le Client, revenez au TCO (Total Cost of Ownership, désigne le coût global d'un bien ou d'un service tout au long de son cycle de vie, ndr), et vous verrez que les 1, 2 ou 3% de frais d’agence que je vous coûte pour gérer votre budget voyage sur lequel on maîtrise votre prix moyen du billet d’avion ou votre ADR (average daily rate, nuitée moyenne, ndr) pour l’hôtel, ce n’est pas beaucoup…

J’ai déjà gagné des clients avec des TCO négatifs : je vous coûte 2% - disons 100.000 € de frais d’agence - mais en mm temps je m’engage sur 500.000 € d'économie en 5 ans avec des pénalités si je ne les atteint pas. Le TCO sera négatif la première année, moins la deuxième et largement positif à la fin.

Justement, dans ce contexte inflationniste, on imagine que la promesse est à la maîtrise de l’augmentation des prix plutôt qu’à leur baisse. Ca change beaucoup de choses dans la négociation ?

Oui et non. Non car les négo portent toujours essentiellement sur les frais d’agence. Globalement, ils sont en baisse constante. En 2007, à mes débuts chez Egencia, les frais online étaient à 9 ou 10 €, aujourd’hui, moins de la moitié.

Et oui parce que, comme vous le dites, se contenter de promettre une hausse sous l’inflation, c’est moins vendeur. Ce que change vraiment ce contexte difficile, c’est que désormais on s’autorise à dire à un client “Vous n’êtes plus assez rentable pour nous”... On ne va pas l’écarter mais on va lui expliquer qu'on est obligé d’augmenter les frais.