Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il pointe, dans cette tribune, l'injonction paradoxale d'une population qui veut profiter de l'aérien sans en subir les conséquences.
Il ne fait pas bon être ministre des Transports, en charge, entre autres, de l’aérien, et ce, dans la plupart des pays. Ils ont pour mission à la fois de réguler cette activité et de donner satisfaction à leurs électeurs, tout au moins dans les pays démocratiques : une quadrature du cercle.
Je note d’ailleurs que l’attitude des populations est différente selon l’état d’avancement économique des pays. Les occidentaux ont un long passé dans le transport aérien et ils ne sont plus émerveillés par les possibilités de ce mode de transport, ce qui n’est pas le cas du reste du monde, venu un peu plus tard à cette activité.
Moins de pollutions...
Moins de pollution sonore et visuelle, moins de production de CO2, mais un accès facile au transport aérien avec des prix de plus en plus bas, tout en demandant aux compagnies aériennes de ne jamais faire faillite et aux constructeurs de produire des appareils d’une totale fiabilité, le tout dans une gestion de l’espace aérien sans défaut. Comment, face à ce qu’il faut bien appeler des exigences, arriver à trouver les bons compromis, car c’est bien cela dont il s’agit.
C’est la tâche des ministres et il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas facile. Elle est d’autant plus compliquée que les ministres des transports sont également en charge des moyens terrestres et en particulier du train. Or, en Europe tout au moins, le train est devenu le concurrent direct du transport aérien court-courrier avec la maîtrise de la grande vitesse. Sauf que ces investissements colossaux consentis pour relier des grandes métropoles se sont faits au détriment des petites agglomérations qui ont été délaissées par ce mode de transport. Il ne reste plus alors aux usagers que l’utilisation de leur voiture ce qui vient en contradiction avec la recherche de la décarbonation.
Alors la tentation est grande de donner satisfaction à celui qui crie le plus fort, ou qui est capable de peser sur les élections. Pour le moment c’est le lobby écologiste qui l’emporte avec des moyens de plus en plus professionnels et des supports financiers dont on aimerait bien connaître les sources. Les gouvernements en tirent pour conséquence qu’ils doivent montrer leur empathie envers les populations victimes du transport aérien. Les riverains des aéroports sont les plus virulents, cela est d’autant plus étrange qu’une grande partie est employée dans les métiers reliés au transport aérien et qu’ils se sont installés en parfaite connaissance de cause dans les zones proches des plateformes aéroportuaires. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont mal placés pour se plaindre que les ministres ne doivent pas prendre en compte leurs doléances. C’est ainsi que les grands aéroports européens sont progressivement conduits à limiter le nombre de mouvements, voire à fermer leurs installations pendant la nuit. Et pour faire bonne mesure, afin de donner satisfaction aux injonctions écologistes, on limite très artificiellement, il faut le dire, les vols court-courriers.
Et plus de fréquences !
Mais pendant ce temps-là, les clients réclament plus de fréquences et de dessertes afin de trouver à tout moment le vol dont ils pensent avoir besoin et des tarifs plus bas car ils en ont pris l’habitude, sans voir que ceux-ci ne paient pas les prix de revient et que ce n’est pas avec eux que les compagnies aériennes pourront financer la décarbonation.
Au fond, le transport aérien est victime de son succès. Il s’est progressivement ouvert à de nouvelles couches de population et ces dernières veulent continuer à en profiter. Petit à petit la demande de vols courts va se transformer en vols long-courrier et ce ne sera certainement pas bon pour l’empreinte carbone, sauf à ce que de nouveaux appareils et peut-être de nouvelles manières de voler arrivent sur le marché. Mais pour cela il faudra bien consentir à payer la note.
Au fond on comprend bien la difficile position équilibriste que les ministres doivent en permanence tenir. Par contre il n’est pas acceptable de faire payer un secteur d’activité, le transport aérien, au profit de son concurrent, le train, alors qu’il aura besoin de mobiliser toutes ses énergies et ses ressources financières pour atteindre la neutralité carbone.
Bref, la position de ministre des transports dans les pays occidentaux n’est pas forcément enviable.