Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il pose la question du financement d'une décarbonation de l'aérien aux coûts colossaux.
Posons quelques postulats qui devraient être partagés par le plus grand nombre. D’abord, il est bien clair que le transport aérien doit se décarboner et le plus tôt sera la mieux. La recherche pour faire le saut technologique nécessaire coûtera énormément d’argent, sans doute plusieurs centaines de milliards de dollars. Il faudra du temps, même si les outils à disposition des chercheurs - l’intelligence artificielle et les énormes possibilités des calculateurs - permettent d’accélérer les délais.
En tous cas, il est illusoire d’espérer une décarbonation en 2050, comme cela avait été annoncé : les quelques 40.000 nouveaux appareils dont les commandes sont attendues dans les 20 prochaines années par Airbus, Boeing et les autres constructeurs, aux dires de Guillaume Faury le PDG d’Airbus, seront encore produits avec les technologies actuelles, même si des améliorations constantes sont attendues; or, ces appareils voleront pendant une trentaine d’années après leur sortie d’usine.
767 milliards
Autrement dit, il n’est pas envisageable que le transport aérien soit décarboné en 2050. Tout au plus, malgré son inévitable croissance, il continuera à peser moins de 3% des émissions de CO2. Pour le moment, seuls les pays occidentaux riches, et particulièrement européens, se préoccupent de la pollution engendrée par les avions, ce n’est pas le cas des trois quarts de la planète pour lesquels le transport aérien est plus que jamais vital. Or, on ne peut pas parler de décarbonation uniquement en Europe, cela concerne la terre entière, et c’est bien là le problème.
Qui va payer les investissements colossaux qu’il faudra bien dégager ? Sans aucun doute, les consommateurs, ce qui va entrainer une surcharge des billets. En faisant un calcul rapide, si les passagers acceptent une contribution obligatoire de 10 dollars par trajet, on pourrait dire 5 dollars pour les court- courriers et 20 pour les long-courriers, cela constitue une manne considérable : 767 milliards de dollars entre 2025 et 2040 si la croissance est limitée à 3% en moyenne et 833 milliards si elle se monte à 4%. Voilà de quoi largement alimenter des fonds de recherche puissants. Le transport aérien est suffisamment bien organisé pour savoir collecter ces fonds. La contribution peut être logée dans la case YQ des billets là où les compagnies aériennes mettent, en particulier, les surcharges carburant. Le tout est de savoir qui pourrait les collecter.
Il faut dès le départ éliminer les gouvernements qui auront trop tendance à attribuer ces fonds à d’autres fins que la décarbonation du transport aérien, comme d’ailleurs le gouvernement français l’a démontré en se servant des avions pour alimenter le transport ferroviaire incapable d’équilibrer ses comptes. Il faut donc trouver une autre solution, neutre et mondiale.
Une mission pour l'OACI ?
Pourquoi alors ne pas envisager la création d’une nouvelle structure, sous l’égide d’une autorité mondiale indiscutable telle que les Nations Unies ou l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) dont le but serait de collecter les «taxes de décarbonation du transport aérien» auprès de IATA et d’autres collecteurs nationaux ou locaux et de les redistribuer auprès des acteurs aptes à faire avancer les recherches sur le sujet ? Il y a sans doute, dans le monde beaucoup de sociétés ou d'organismes qui ne manquent que des ressources financières pour déboucher sur des réalisations exploitables. Tout compte fait, l’OACI paraît être le meilleur organisme pour héberger une telle initiative. N’oublions pas qu’il est la gouvernance de ce secteur d’activité et qu’il a près de 80 ans d’existence depuis sa création le 7 décembre 1944 à Chicago et que ses membres sont les Etats. Il a fait d’ailleurs la preuve de son efficacité pour rendre ce mode de transport de plus en plus sûr et efficace.
Quelle que soit la solution adoptée elle devra bien répondre à la fois à l’énormité du défi et à son universalité. Certes, les constructeurs sont en première ligne pour créer de nouveaux appareils propulsés par des carburants non fossiles, mais les fournisseurs de ces mêmes carburants devront bien eux aussi proposer de nouvelles solutions et ces dernières impacteront certainement les aéroports et les gestionnaires de l’espace aérien. Et puis les solutions proviendront peut-être de start-ups pour le moment inconnues et qui auront bien besoin d’argent pour mener à bien leurs recherches.
Je ne vois pas d’obstacle à la contribution des utilisateurs du transport aérien, j’en vois plus dans la gestion et la répartition des fonds en évitant autant que ce peut les inévitables déperditions d’argent.