Moins de 2h30 de trajet : la bascule de l’aérien vers le train

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Moins de 2h30 de trajet : la bascule de l'aérien vers le train
Photo : So-Le Soir / SNCB.

Retour sur l'annonce d'Emmanuel Macron à propos de la suppression de vols intérieurs au profit du ferroviaire.

Si le taux d'emprunt des 7 milliards d'euros de prêts directs et indirects accordés par l'Etat français à Air France n'a pas été dévoilé, on sait maintenant que son coût devra être estimé avec autre chose qu'une calculatrice : la perte d'indépendance n'étant pas aisément quantifiable.

Car, d'une façon totalement transparente, cette aide a été conditionné à la réduction drastique des vols intérieurs de la compagnie «dès lors qu’il y a une alternative ferroviaire d’une durée de moins de 2h30», et «limités simplement aux transferts vers un hub», comme l'avait annoncé fin avril Bruno Le Maire.

Emmanuel Macron devancé

Le vendredi 3 juillet, le comité social et économique central extraordinaire d'Air France officialisait la suppression de 7.600 postes et devançait l'annonce d'Emmanuel Macron, confirmation de celle de son ministre de l’Économie et des Finances deux mois auparavant. Il est vrai que la fermeture de lignes domestiques, nonobstant la volonté gouvernementale, peut répondre aussi à un impératif économique : sur son réseau domestique, le transporteur national perd 200 millions d'euros par an.

Concrètement, la filiale régionale Hop! devrait concentrer son activité sur l’alimentation des hubs de Paris CDG et Lyon. Et c'est Transavia, la filiale néerlandaise d'Air France-KLM, qui reprendra la plupart des lignes assurées jusqu’à présent par Hop à Orly (Toulon, Montpellier, Perpignan, Biarritz et Brest), à Lille (Bordeaux, Marseille et Nice) et à Nantes (Lyon, Nice, Toulouse, Montpellier, Lille et Marseille, seule la ligne sur Roissy est conservée), ainsi que les lignes Lyon-Toulouse et Lyon-Bordeaux.

Ces lignes qui seront désormais au programme de vols de Transavia couvrent effectivement des trajets ne disposant pas de la fameuse alternative ferroviaire de 2h30 ou moins. A quoi correspondent ces 2h30 ? Alors que l'extension des tronçons à grande vitesse permettait à Lyria de relier Paris à Genève une vingtaine de minutes plus rapidement, un responsable de la société franco-suisse nous avait déclaré qu'un temps de trajet de 3 heures en train était une bascule. 

Temps utile

Cette bascule correspond au niveau en-deçà duquel le ferroviaire l'emporte sur l'aérien en termes de "temps utile". Ce temps utile, ce sont ces moments où le passager peut travailler sur son ordinateur par exemple, auxquels les voyageurs d'affaires sont particulièrement sensibles. Dans son estimation, on prend donc en compte le temps de trajet jusqu'au hub (la gare ou l'aéroport), le temps d'embarquement (dans un train ou un avion), et le temps du trajet lui-même, seul "temps utile" du process.

L'annonce d'Emmanuel Macron semble revêtir tous les atours de la raison : une empreinte carbone drastiquement réduite (le calcul est complexe et doit prendre en compte de nombreux facteurs mais à la SNCF on parle d'émission de CO2 27 fois inférieur en train qu'en avion) pour des voyages qui, au final, ne ferait pas perdre de temps, dans l'absolu, et en ferait même gagner, considérant ce fameux temps utile.

Questions

Reste que des questions demeurent : qu'en est-il des liaisons de hub à hub - concrètement un Bordelais qui part aux Antilles devra-t-il se rendre en métro d'Austerlitz à Orly ? Qu'en est-il de l'engorgement du réseau ferroviaire français dû en grande partie à sa structure en étoile avec Paris pour centre ? Concernant les trains de nuit qui doivent, dixit Emmanuel Macron, être remis au goût du... jour, La SNCF ou ses prochains concurrents, sera-t-elle en mesure de proposer une offre fiable, sûre et pratique ? Et pour les voyageurs d'affaires, ne se heurteraient-ils pas aux obligations légales de temps de repos ?

A la SNCF, pour l'heure, c'est silence radio : "Le chef de l'Etat a fait des déclarations très générales sur lesquelles, en conséquence, on ne peut pas réagir. La semaine prochaine, peut-être, si on a plus de précisions". Et le discours de politique générale de Jean Castex devant l'A1ssemblée nationale, le 15 juillet, n'a pas davantage précisé les choses.

Bruno Gazeau, président de la FNAUT (Fédération des associations d'usagers), se "réjoui(s) d'entendre enfin parler de ferroviaire, alors que ça fait trois mois qu'on n'entend parler que d'aérien. Il faut effectivement relancer le train Intercité. En tout cas, il faut que le gouvernement sur le bon mix entre développement de l'aérien et du ferroviaire, pour que l'accès à ses moyens de transport soit le meilleur pour les usagers. Ce qui, depuis, des décennies, n'a pas été faits".

Wait and see jusqu'à plus ample informé. Mais toutes ces questions seront peut-être réglées par... l'aérien ! Car en vertu de la réglementation européenne, une compagnie aérienne peut tout à faire reprendre les lignes abandonnées par le groupe Air France sur injonction de l'Etat. Mais on parle ici de droit, pas d'opportunité commerciale.