Air France, Lionel Guérin n’aura été DG que sur une courte durée

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C’est un secret de polichinelle que se partageait les cadres d’Air France : Jean-Marc Janaillac avait choisi Lionel Guérin pour devenir le nouveau DG d’Air France. Mais le PDG du groupe a subi un sérieux revers. Son candidat a été refusé à la dernière minute. Chronique d’un règlement de comptes en sous-sol.

Pour un auteur de thriller à succès, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de la nomination du DG d’Air France, une histoire à rebondissements : il y a le patron, l’heureux élu, la conspiratrice, le mari de la conspiratrice et un gouvernement qui, sans y avoir l’air, s’est mêlé d’un dossier qui, a priori, ne le concernait pas.

A l’origine, l’histoire est banale. Le PDG D’Air France fait le choix en interne de son nouveau DG. Lionel Guérin, patron de Hop! Air France, s’impose par sa connaissance des dossiers, sa vision stratégique à moyen et long terme et sa bonne entente avec les pilotes, métier qu’il connaît pour l’avoir pratiqué. Janaillac attend du futur DG qu’il mette en place une partie de Trust Together et qu’il lui montre les écueils à éviter dans un monde où se côtoient requins et intérêts particuliers.

Premier acte, l’annonce du départ de Frédéric Gagey, alors PDG, qui stigmatise tous les échecs sociaux des derniers mois. En off, beaucoup en interne s’attendent à ce que, par amour propre, l’ancien patron d’Air France donne sa démission. Il n’en sera rien. L’intéressé part aux finances du groupe, son métier d'origine au demeurant. Seule certitude, Lionel Guérin n’est pas son candidat et il le fera savoir. Là commence le lent lobbying pour faire en sorte que le futur DG ne soit pas celui que l’on attend.

L’acte 2 se passe en Hollande. Jean-Marc Janaillac souhaite prendre une place de vice-président au sein du CA de KLM. La proposition ne séduit pas, malgré la présence de 5 français sur 9 membres dudit conseil. Officiellement, la demande n’aurait pas eu le temps d’être "appréciée" par le conseil. Officieusement, les Hollandais ne veulent tout simplement pas du PDG du groupe au sein de leur conseil. Ils se méfient de cette volonté d’occuper tous les postes qui cachent pour certains "une volonté de mettre la main sur l’ensemble de la courroie de décision du groupe". Inutile de préciser que ce premier rejet n’a pas plu chez Air France.
Pire, cette défiance de KLM ne s'arrête pas là: aujourd'hui les Hollandais ne sont pas totalement convaincus par Trust Together qui, en grande partie, ne les concerne pas. Lors de la conférence de presse le 3 novembre dernier, Pieters Elbers, le boss de KLM, a botté en touche à la question d'une journaliste néerlandaise sur sa vision de Transavia face à la nouvelle vraie-fausse low-cost du groupe. En revanche, ils sont favorables à la nomination de Lionel Guérin qu’ils connaissent car l’intéressé a lancé et dirigé Transavia en France. "Un travailleur courageux et honnête", laisse savoir selon KLM.

Dernier volet de l’affaire, alors que tout le comité de nomination donne son aval, l’Agence des Participations de l’Etat rejette la candidature du patron de Hop! un échelon plus haut. Le plus virulent au sein de ce comité aurait été son dirigeant, Martin Vial. Règlement de comptes ? Son épouse, Florence Parly, avait été nommée le 1er janvier 2013 directrice générale adjointe de l’activité "Passage Point à Point", en charge des Escales France. Sa mission: redresser le court courrier dans le cadre de Transform 2015. Mais l’intéressée ne connait pas l’aérien et se fait bousculer par la réalité du terrain. Elle quitte le groupe fin août 2014, persuadée que Lionel Guérin aurait manœuvré en sous-marin pour la faire partir et garder la main mise sur le transport domestique. Une rancœur qui ne serait pas étrangère aux décisions de l’APE.

Enfin, le coup de grâce vient de l’Etat lui-même. Jean-Marc Janaillac, présenté comme un ami de François Hollande qu’il a côtoyé dans la même promotion de l’Ena, n’aurait pas obtenu le soutien direct de Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l'Elysée qui, pour d’obscurs raisons politiques, aurait refusé la nomination de Lionel Guérin.
Mais personne ne veut prendre la responsabilité de cette décision. Officiellement, l'Etat ne se mêle pas du dossier. Une affaire privée dans une entreprise privée... Même s'Il se susurre qu'ordre aurait été donné à Matignon de ne pas évoquer publiquement ce dossier. L’Etat veut juste qu'il n'y ait pas de vagues avant les présidentielles.

L'épilogue réjouit la concurrence

L'ensemble de ce jeu subtil de lobbying va conduire le PDG d’Air France à essuyer le refus d’avoir Lionel Guérin à ses côtés. Il reste l'épilogue officiel de l'intrigue, l’arrivée de Franck Terner. Une nomination surprise qui vient, là aussi, s’opposer à Lionel Guérin. Le nouveau DG a été entre 2007 et 2008 à la tête de la compagnie Régional (aujourd'hui intégrée à Hop! Air France) et n’a pas laissé de bons souvenirs aux syndicats qui le jugeaient "trop prudent et peu au fait des arcanes transport commercial". Une vision que ne partagent pas aujourd’hui ceux qui l’ont aidé à prendre le poste. Sa chance, la paix sociale temporairement acquise par Jean-Marc Janaillac. Les promesses du patron du groupe aux pilotes sont de nature à rassurer l’ensemble de la chaîne de pouvoir. Avec un statut quo jusqu’en février, sans doute repoussé de quelques semaines, le vote des Français ne devrait pas être perturbé par les "seigneurs du ciel". Mais c’est sans prendre en compte la colère grandissante des hôtesses et stewards et celle du personnel au sol. Rien ne dit qu’eux ne bougeront pas. C'est "Une paix bâtie sur du sable" peut-on entendre dans l’entourage direct du PDG, "Comment imaginer que l’on va créer une low cost avec l’aval des pilotes d’AF qui refusent tout emploi au rabais. Et on sait déjà qu’elle ne tiendra pas ses promesses commerciales". Pour beaucoup, il ne s’agirait que d’un écran de fumée pour faire croire à la relance ?. "Une vision un peu extrême", selon plusieurs experts de l’aérien.

Et la fin officieuse ? Que va faire Lionel Guérin ? Quitter le groupe pour avoir le temps de prendre le temps ? Poursuivre son travail à Hop!, mais sans certitude de pouvoir mettre en œuvre son propre plan ? On peut imaginer que, face à la crise économique qui s'annonce à Air France, largement évoquée la semaine dernière au WTM de Londres par les dirigeants d'IAG et d'Emirates, la compagnie aura besoin d'un vrai pro pour sa dernière relance.

Mais comme le disait Rudyard Kipling… "Cela est une autre histoire"....

Marcel Lévy