Ethiad Airways Partners, une nouvelle idée des alliances ?

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L’histoire est toujours intéressante surtout lorsqu’il y a des leçons à en tirer. A la fin des années 1990, la compagnie Swissair se trouvait dans une impasse. N’ayant pas voulu participer à l’Europe, la Suisse ne disposait pas des facilités du ciel ouvert européen. Dès lors, Swissair était encore soumise au régime habituel des droits de trafic, ce qui n’aidait pas son développement.

Pour sortir de cette impasse, le Président d’alors, Philippe Bruggisser, eut une idée de génie : acheter des parts minoritaires, car il ne pouvait pas dépasser 49%, de compagnies installées dans les pays cibles. Ainsi, pensait-il, il créerait-il - sans pour autant être le propriétaire intégral - un ensemble qui serait au service des intérêts de Swissair. Il s’est alors lancé dans une politique d’achats très agressive, mettant dans son portefeuille AOM, Air Littoral puis Air Liberté en France, Sabena en Belgique, LTU en Allemagne, LOT en Pologne, Air Europe en Italie, TAP et Portugalia au Portugal, et même South African Airways en Afrique du sud. Le tout sans compter Crossair en Suisse, déjà entièrement contrôlée par Swissair.

Il fallait donner une cohérence à cet ensemble, il a donc été appelé le Qualifyer Group. Il se voulait devenir un acteur important sur la scène européenne et mondiale et faire pièce aux alliances en voie de formation avancée : Star Alliance, Skyteam et Oneworld. Le tout pour 17 milliards de dollars.

On sait ce qu’il en est advenu. Il a tout d’abord été impossible de créer une cohérence dans cet ensemble si disparate à l’origine. Comment faire fonctionner ensemble avec les mêmes critères des Belges et des Italiens, des Français et des Portugais etc… D’autant plus que les règles administratives suisses, en fait celles du Canton de Zurich, étaient très différentes de celles des autres pays, en particulier pour ce qui concernait le droit social. Or les responsables de Swissair étaient persuadés que, puisqu’ils contrôlaient de fait les transporteurs du Qualifyer Group, ils pourraient imposer leurs critères sociaux, par exemple. Cela s’est bien entendu avéré impossible. De plus les compagnies « rachetées », lesquelles étaient toutes en mauvaise posture, se sont senties protégées par le grand frère suisse et au lieu de faire les inévitables réformes, elles se sont laissé aller à de regrettables dérapages financiers. Dès lors tous les mois, Swissair était sollicitée pour assurer les échéanciers de paiement.

Ce qui devait arriver est bien entendu arrivé. La profitable compagnie helvétique est devenue exsangue, pompée régulièrement par ses filiales, alors qu’elle ne pouvait pas en tirer une quelconque synergie positive. Et le 02 octobre 2011, le successeur de Philippe Bruggisser, Mario Corti, a déposé le bilan en laissant plus de 30 000 passagers sur le carreau dans le monde entier. Bref, le désastre sur toute la ligne.

Or voilà que resurgit le même phénomène avec le lancement d’Etihad Airways Partners. On voit bien la stratégie du transporteur d’Abu Dhabi. Il n’accepte plus de jouer les seconds rôles derrière Emirates dans le Golfe. Or il ne peut pas se développer suffisamment par une croissance interne qui serait trop longue et qui aurait peu de chances de l’amener au premier rang, tant l’avance d’Emirates est importante. Alors il fait de la croissance externe, non pas comme Swissair la menait, sur le plan européen, mais bien au niveau mondial. Les temps ont changé. Et voilà donc la création d’un nouvel ensemble auquel il faudra bien donner une cohérence que Swissair n’a pas été capable d’imposer dans le Qualifyer Group.

Ce ne sera certainement pas facile entre les « fondateurs » du Etihad Airways Partners. Il suffit de regarder la composition pour mesurer la difficulté de l’exercice. Autour de la maison-mère Etihad, on trouve Air Berlin, fortement ancrée dans l’Allemagne profonde et qui a perdu 434 millions de dollars en 2013, Air Serbia, anciennement la JAT qu’il faut totalement restructurer, Air Seychelles, sans doute la plus facile à intégrer mais également la plus petite, Jet Airways, compagnie indienne qui s’est enfoncée dans les déficits avec une perte de 689 millions de dollars en 2013 et enfin Etihad Regional, ex Darwin, dont le gouvernement suisse regarde avec attention ses capacités d’indépendance. Eh bien, je dis que c’est loin d’être gagné. Les cultures sont différentes, les gouvernements sont soucieux de l’indépendance de leurs compagnies basées et les résultats financiers sont pour le moins médiocres ; même ceux d’Etihad, avec 62 petits millions de dollars de profit, sont très loin des 885 millions d’Emirates. Comment réaliser un ensemble cohérent avec ce patchwork ?

Swissair en son temps s’y est cassé les dents. Etihad peut-elle réussir alors que les conditions sont assez semblables, mais à l’échelle mondiale au lieu de l’échelle européenne ? Certes le gouvernement d’Abu Dhabi a une capacité certaine à soutenir le projet à long terme et à combler les inévitables pertes. Cela suffira-t-il ?

Bruno Matheu quitte la direction long courrier d’Air France pour diriger l’Etihad Airways Partners. On ne peut que lui souhaiter bonne change et … bon courage.

Jean-Louis BAROUX