SNCF : Quand le droit de retrait pilote le trafic ferroviaire

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Avec l’interruption quasi-totale des circulations ferroviaires sur la banlieue de Paris St Lazare le 3 avril, la question du « droit de retrait » revient sur le devant de la scène. N’y a-t-il pas détournement de la législation ? Tous les salariés disposent certes d’un droit individuel d’arrêter le travail pour se protéger d’une situation susceptible de porter atteinte à leur vie ou à leur santé. Ici, il ne s’agit pas d’accident mais d’agression. Est-ce que ceux qui invoquent et mettent en œuvre dans ces conditions leur droit de retrait ne seraient pas en réalité, de manière plus ou moins consciente, dans une réaction collective vindicative et punitive (y compris même d’innocents) ? C'est le coup de Pat du jour.

SNCF : Quand le droit de retrait pilote le trafic ferroviaire
A la longue, du fait de son déclenchement récurrent dans les transports, ce droit de retrait a fini par s’imposer comme une forme d’expression du mécontentement du corps social placé aux premières loges des atteintes à la sûreté.

Et face à ce mécontentement qui en soi n’est pas une revendication, on l’a encore vu hier à St Lazare, le principal souci de la Sncf a été que le trafic reprenne vite, le plus vite possible. Et ce n’aurait donc pas été le moment de faire des vagues sociales en contestant la légitimité de ce droit de retrait et en menaçant de sanctions. Ce qui n’aurait fait que jeter de l’huile sur le feu social.
L’entreprise publique a donc une fois de plus encaissé. Afin de pouvoir passer rapidement à autre chose avec une reprise aussi prompte que possible du trafic, elle a fait comme si… Comme à chaque fois.

Force est d’abord de constater qu’en général ces droits de retrait sont massifs. Cela s'explique d’une certaine façon par le fait que chacun a bien conscience au fond de lui-même qu'il s'agit d'un exercice abusif et non conforme à l’esprit de la législation. Le meilleur moyen de se protéger chacun des foudres de l’employeur est donc d'être nombreux sur le coup. Un peu comme les grèves sauvages sans préavis. Ce sont finalement celles qui marchent le mieux. Et aujourd'hui, le droit de retrait, c'est encore plus redoutable. Les exploitants d’un service de transport en général, la Sncf en particulier, sont à chaque fois tétanisés avec ça.

A froid au moins, la notion de danger grave et imminent, particulièrement face au risque d’agression, mériterait pourtant d'être davantage cernée. Oh, elle finirait bien par l'être s'il y avait des recours de la Sncf (comme il y en a eu en son temps contre les grèves illégales). Mais comme elle ne bouge pas, le face à face demeure.

Imaginons. Un salarié doit travailler sous un échafaudage brinquebalant qui menace à tout moment de s'écrouler. Oui, il y a danger grave et imminent justifiant le retrait.

Ailleurs, un salarié doit traverser une route nationale sur un passage piéton. Il y a danger qu'un automobiliste le renverse. Mais le danger n'est pas imminent. Il n’est d’ailleurs pas du tout certain si chacun agit en responsabilité.

Un automobiliste s’engage sur une route prioritaire protégée par des stops. Il y a danger... grave si un autre automobiliste grille ledit stop. Pas de réel moyen supplémentaire de prévention à mettre en œuvre, sauf à décider de ne pas prendre sa voiture ! Par l'image, la forme la plus aboutie du "droit de retrait".

Et quiconque doit aller à la banque peut penser que le risque qu’il y ait une attaque à main armée pendant qu’il s’y trouvera n'est pas nul non plus. Pour peu surtout qu’il y ait eu une attaque de banque, il n'y a pas longtemps et pas loin de là... Conséquence : ne plus aller à la banque. Et les employés de la banque seraient bien inspirés de faire jouer leur droit de retrait aussi...

On finit donc par tomber dans l'absurde et utiliser comme arme de guerre "de destruction sociale massive" un outil mis à disposition par le législateur pour se protéger individuellement.

Un agent Sncf se fait agresser à tel endroit. Le risque d’agression est hélas devenu pour eux, comme pour d’autres, un danger permanent. Grave, soit ! Mais, imminent non. Ce n'est pas parce qu'une agression a eu lieu à tel endroit à tel moment qu'il est imminent qu'elle puisse se reproduire à distance. A la limite, que le droit de retrait joue sur le lieu précis où se trouve la menace s'il est avéré que l'agresseur s'y trouve encore... mais sur des kilomètres de lignes, c'est abusif.

Du fait de ce manque de discernement favorisé par l’emportement, l’exercice du droit de retrait est donc devenu à son tour une forme d’agression sociale du reste de la population.

Notre société et notre démocratie sont bien fragiles.

Imaginons que de manière concertée des gens mal intentionnés provoquent des agressions simultanées en plusieurs points du réseau. 15 minutes plus tard, l’ensemble du réseau est totalement paralysé. Un état de droit pourrait être mis à genou avec de telles méthodes.

Dans de telles circonstances, l’émotion est légitime, l'expression de la solidarité envers le collège agressé honorable. Cela fait même partie des valeurs de la corporation. Mais pour autant le droit de retrait n'a pas à s'appliquer sauf à vouloir se venger de la population... qui n'y est pour rien. Mesure t-on comment cette menace permanente entretient la crainte de l’incertitude chez ceux qui ont le plus besoin du service public ? Des comportements qui paradoxalement pourraient pousser ensuite ce public à vouloir se venger à son tour et, au fond de lui même, à se féliciter parfois de l'agression d'un cheminot, se disant "ils l'ont bien cherché".

Il y a deux agressions par jour sur le réseau ferré. Il n'y a pas droit de retrait à chaque fois. Heureusement. C'est donc qu'en plus de l'agression, il faut autre chose. Cette "autre chose", pourquoi ne pas penser que ça puisse être un "leader" d'opinion présent dans le coin et n'ayant rien d'autre à proposer ?

D'un autre côté, les délégués ayant pignon sur rue sont souvent bafoués, méprisés, neutralisés, écartés au quotidien par le management. Ce n’est que dans ce genre de situation de crise que l’encadrement sait où les trouver pour éteindre l'incendie. Et cela se termine toujours de la même façon : une réunion toutes affaires cessantes sur la sûreté. A St Lazare, elle est programmée dès ce jeudi matin. Des promesses de mobilisation de moyens seront faites, c’est sûr. Ces moyens à mobiliser seront pris ailleurs, c’est tout aussi sûr. Le cas échant, il sera affirmé que les agresseurs seront sévèrement châtiés (avant même d'avoir été jugés). Ils ne le seront pas forcément. Mais la circulation des trains aura repris.

Jusqu'à la prochaine agression et le prochain droit de retrait. C’est potentiellement dès aujourd’hui ou demain puisque les statistiques révèlent deux agressions par jour.

PAT