Air France, chronique d’une catastrophe annoncée

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A en croire les acheteurs rencontrés ci et là, la grève d’Air France est incompréhensible et les oblige à repenser leur programme de vols pour les déplacements de leurs salariés. Si tous expriment leurs regrets face aux actions excessives des pilotes, en position de force face à la demande mondiale, ils restent souvent persuadés qu’avec la montée rapide des prix du pétrole brut, l’avenir de la compagnie va s’assombrir avant la fin du premier semestre 2018.

Il ne faut pas être devin pour comprendre que les échanges mortifères engagés par les syndicats de pilotes dans le conflit qui les oppose à leur direction pour une augmentation de 6 %, repose sur un dialogue de sourds. Mais les pilotes ne sont pas les seuls engagés dans ce bras de fer. La CGT, souvent de tous les conflits sans réelle stratégie définie, Sud aérien et bien d’autres veulent faire plier Air France au prétexte qu’ils ont fait des efforts ces dernières années.

Comme disait ma grand-mère, sage-femme au bon sens évident : "on ne mange pas le même jour toutes les noisettes récoltées à la fin de l’été". En clair, le retour au bénéfice de la compagnie n’est pas fait pour satisfaire les seules envies salariales du personnel mais pour permettre au transporteur d’investir et de se développer. Comme le rappelait une source interne proche de la direction, "Tous les arguments les plus fous sont désormais évoqués lors des négociations, comme celui qui veut que les efforts consentis par les salariés n’étaient qu’un prêt et qu’il faut maintenant rembourser l’argent qu’ils auraient potentiellement perdu depuis la mise en place des plans de restructuration, que ce soit avec Alexandre de Juniac ou Jean-Marc Janaillac". Air France aurait donc une dette salariale. Point.

Pour les entreprises, la situation ne saurait évoluer sans une prise de conscience des salariés et sans doute de la direction. Aujourd’hui, comme le faisait remarquer un acheteur d’une entreprise du CAC 40 : "Nous avons suffisamment d’offres au départ de Paris pour couvrir une très grande partie de nos besoins en matière de déplacements professionnels… en se passant d’Air France". Cette phrase est terrible. Non parce qu’elle dresse le constat de la concurrence mais parce qu’elle se prive du savoir-faire et de la qualité de la compagnie tricolore.

Bien évidemment, on peut toujours partir en Inde, en Chine ou au Japon avec des compagnies tierces souvent de très bonne qualité. Bien évidemment, et depuis des années, c’est toujours la même idée qui prime chez les salariés : on s’en sortira quoiqu’il se passe. Mais un jour, Air France ne s’en sortira pas. Ce jour-là, si les pilotes n’auront que peu ou pas de difficultés à se recaser (sans doute à des conditions moins bonnes que celles qu’ils ont aujourd’hui), il n’en sera pas de même pour le personnel au sol. C’est là que le rôle de l’intersyndicale devrait jouer à fond : éduquez dans le temps et ne pas se battre sur l’instantané. La responsabilisation plutôt que la seule révolution. Facile à comprendre dans une entreprise où l’on ne pourra pas accuser les actionnaires d’en demander financièrement plus. Le titre est tombé de 15 à 9 euros !

Marcel Lévy