Air France et les GDS, nous nous sommes tant aimés…

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Bien malin celui qui pourra détailler les relations entre Air France et Amadeus sans prendre le risque d'être démenti dès le dernier mot prononcé. Alors que les GDS sont nés de la volonté des compagnies aériennes, voilà qu'aujourd'hui ils sont montrés du doigt par leurs créateurs qui, au passage, ont empoché une jolie plus-value au moment de leur revente. Et la mise en place d'une simple norme informatique pour les compagnies bouleverse la distribution du voyage d'affaires.

NDC ne serait-elle que l'expression du combat de géants que se livrent aujourd'hui les compagnies aériennes face à la mainmise des GDS sur leur distribution ? Pour Jean-Pierre Mas, le président des Entrepreneurs Du Voyage (EDV) qui s'exprimait pendant la convention qui se termine ce jour à Lille, "Les GDS sont assis depuis des décennies sur un tas d'or qu'ils ne sont pas prêts à lâcher aussi facilement". Mais dans les couloirs, un proche du dossier l'affirme : l'API que va délivrer Air France serait développée... par Amadeus! Un Dr Jekyll et Mister Hide des temps modernes. Une sorte de "je t'aime moi non plus" qui se place entre l'amour fou et le divorce par consentement mutuel !

En venant sur la scène de la convention des Entrepreneurs Du Voyage, Jean-Marc Janaillac avait peu de doutes. Il savait qu'il débarquait en terrain miné. Mais le discours policé du président des EDV et la réponse tout aussi politiquement correcte du patron d'Air France n'auront pas fait avancer les choses. Et pour cause, la bataille n'est pas entre les agences de voyages et la compagnie française, mais bien entre le GDS et la volonté d'Air France de maîtriser sa distribution. Quitte à être désagréable, on peut considérer que les agences sont - comme les voyageurs d'affaires au demeurant - des victimes collatérales.

Si des astuces marketing existent, comme celle proposée par IAG aux TMC, il est désormais acquis que la surcharge GDS d'Air France sera bien mise en place au 1er avril prochain, avec tous les surcoûts qu'elle risque d'engendrer pour les acheteurs et les Travel manager. Ont-ils pour autant d'autres solutions ? Aucune. Et le représentant de Iata venu lui aussi au Congrès est très claire : l'Association mondiale a mis au point une norme, un langage commun bien pratique pour présenter l'offre des compagnies. Et c'est à elles de l'intégrer quand elles le souhaitent, avec leurs propres choix commerciaux. Si AF/KLM met parallèlement en place des surcharges GDS, c'est bel et bien son propre choix. A sa place, American Airlines a décidé de mettre en place des solutions "incentives", pour récompenser le canal NDC plutôt que de sanctionner le GDS. Air France a beau crier ses grands Dieux qu'elle n'avait pas le choix, qu'elle n'a pas les moyens de faire autrement, sa décision fait réagir Jean-Pierre Mas, Président des Entrepreneurs du voyage, qui parle de "panugirsme" d'Air France qui ne veut pas être en reste face à Lufthansa et British Airways.

Mais si la situation d'Air France, fragile comme le précise son président, devait évoluer avec un coût du pétrole à la hausse et des conflits sociaux qui viennent pénaliser son activité, ce n'est pas la distribution, sous quelle que forme que ce soit, qui viendrait relever la réalité économique du terrain. C'est d'ailleurs ce que souligne le président des EDV en rappelant que la distribution via les agences et les TMC coûte largement moins cher aux compagnies aériennes que ce qu'elles veulent bien le dire. Un exemple : via les agences, le taux d'impayés aux compagnies est inférieur 0,01% contre 1% pour la vente directe. Autre argument, les progressions de chiffre d'affaires sont plus rapides (de 4 à 8%) que la vente directe soumise à d'importants investissements technologiques et marketing.

Pour l'heure « La guerre est déclarée » serait-on tenté de dire en écoutant l'ensemble des partenaires. Mais dans le monde discret de la distribution, tout se fait de façon feutrée et dans les arrière-salles du congrès. Seule certitude, Air France ne donnera pas de délai supplémentaire aux agences et aux TMC pour s'adapter à la norme NDC. Elle affirme seulement aux agences : "Nos équipes seront là pour vous aider". Et d'ajouter, sans trop y croire, qu'il y a encore un peu plus de 4 mois d'ici là, et que beaucoup de choses seront faites au 1er avril prochain.

Qui saura se brancher sur le canal NDC de la compagnie au printemps ? Qui jouera le rôle "d'agrégateur", pour permettre aux agences de poursuivre leur travail en ayant en machine, et sur une seule, l'offre de tous les transporteurs ? Dans ce débat engagé entre la distribution et la compagnie aérienne, Amadeus a pour l'heure - comme Sabre ou Travelport - le rôle de victime. Pourtant, Jean-Marc Janaillac n'hésite pas à tacler les GDS, en rappelant qu'ils sont depuis des années partenaires des discussions autour du NDC et qu'ils n'ont pas été capables de l'anticiper pour répondre aux attentes de la distribution.
Une assertion qui fait sourire (jaune) les agences de voyages présents dans la salle et que résume parfaitement un acheteur du CAC 40 présent à Lille : "Dans ce combat des chefs, la seule certitude que j'ai, c'est que c'est le client qui va payer".

Annie Fave
Marcel Lévy