Charles Petruccelli, American Express GBT : « Quoi de Neuf ? Pas grand-chose… »

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Pour observer notre industrie, quoi de mieux que de prendre un peu de recul ? Trois « outsiders » passent en revue la technologie, les nouveaux entrants, les business models, leurs déceptions, leurs espoirs, la capacité des protagonistes de notre industrie à se réinventer… ou pas. Rencontre avec Charles Puccelli*, ancien Président Monde AMERICAN EXPRESS GBT, administrateur de American Express GBT, administrateur du Groupe Marietton. Cet entretien est extrait du Mook, en partenariat avec Aurélie Krau, associée Festive Road.


Vous avez quitté les manettes d’American Express Global Business Travel en décembre 2011, mais vous observez toujours de près le marché. Comment celui-ci a-t-il évolué ces 7 dernières années, selon vous ?

Charles Petruccelli, administrateur de American Express GBT et administrateur du Groupe Marietton : A vrai dire, depuis ces 7 années écoulées, il ne s’est pas passé grand-chose… Je sais, c’est provocateur mais revenons sur quelques sujets importants pour notre industrie. Le modèle économique a-t-il changé ? Non. Y a-t-il eu l’arrivée d’un nouvel entrant qui a provoqué une disruption ? Non. L’utilisation, maintenant répandue, du mobile a-t-elle profondément modifié le modèle de fonctionnement ? Non. Les acteurs online ont-ils marginalisé la TMC traditionnelle ? Non. A-t-on développé une solution innovante « end to end » pour le segment des PME/PMI que tous veulent séduire? Non. Les nouvelles technologies ont-elles supprimé le besoin du voyage d’affaires ? Non. Bien entendu, tous ces ‘non’ n’engagent que moi.

Pouvez-vous revenir sur votre perception du modèle économique dans le Voyage d’Affaires ?

Charles Petruccelli : L’évolution de la relation économique entre les TMC et les clients et entre les entreprises et les fournisseurs – compagnies aériennes, hôteliers…- n’a pas changé d’un iota. La TMC, qu’elle soit régionale ou globale, vit toujours avec schizophrénie son double rôle. Elle est d’une part experte de la gestion et de l’économie de la dépense voyage d’affaires, prestataires de services, de conseils et elle réalise l’intégration de solutions auprès du client corporate qui continue de ne pas vouloir reconnaître la création de valeur… D’autre part, la TMC joue le rôle d’agence de voyages traditionnelle, apporteur rémunéré de billets d’avion et de nuits d’hôtel auprès des compagnies aériennes et des chaines hôtelières.

Du côté client, c’est normal puisque les fonctions acheteurs de l’entreprise ont toujours la main sur les négociations et la seule chose qui les intéresse est de négocier à la baisse le coût de la transaction de réservation. C’est quasiment la seule activité pour laquelle ils sont prêts à payer. Ils ne veulent pas payer pour les services complémentaires proposés : conseil, implémentation de plateformes technologiques, reporting avec consolidation des données, respect de la compliance, assistance du voyageur en cas de besoin etc. Et la TMC n’est toujours pas capable de modifier ce rapport de force, trop heureuse d’avoir ce volume à apporter aux compagnies aériennes, aux GDS et aux chaînes hôtelières, d’où la course à la taille et au volume qui entraîne la continuation de la consolidation que nous avons connue dans les années 2000.

Pour vous, aucun nouvel entrant à l’horizon ?

Charles Petruccelli : Aucun. Les seuls nouveaux venus n’ont rien apporté de nouveau, si ce n’est un marketing rusé et intelligent de leur offre somme toute assez traditionnelle, mais ils restent dans tous les cas de petits opérateurs. La seule disruption potentielle pourrait être l’adoption du standard de distribution NDC par IATA, autre facette du ‘Direct Connect’ qui veut changer le modèle économique entre les GDS et la distribution. Et là encore, je ne suis pas convaincu qu’à terme les solutions ne soient pas qu’un habillage.

Les situations existantes foisonnent déjà d’exceptions. Malgré toutes les tentatives des compagnies aériennes de prendre le contrôle de la relation client, la TMC restera le meilleur allié, online et offline, du client pour lui garantir l’optimisation de ses achats de voyages. Le GDS reste, lui, incontournable car il est le seul à avoir investi massivement durant plusieurs années sur les plateformes qui permettent à cette industrie de fonctionner efficacement et harmonieusement.

Vous dîtes que le mobile est votre plus grande déception. Pourquoi ?

Charles Petruccelli : Si le loisir s’en est emparé pour offrir toute une série de services et d’offres de produits qui rendent maintenant cette plateforme incontournable, dans le voyage d’affaires c’est loin d’être le cas. Les solutions mobiles sont en fait des solutions d’assistance gratuites et d’offres de produits ancillaires peu rémunérateurs et leur pénétration dans l’univers du voyageur d’affaires encore marginale. Je sais, la réponse que j’entends est : ‘ça va venir’… mais 8 ans ont passé déjà quand je prédisais que ce serait la troisième révolution de l’industrie. Et pourtant j’y crois toujours même en tant que business angel !

Qui des acteurs online par rapport aux services offline ?

Charles Petruccelli : En effet, personne n’a encore craqué le code pour prendre une part de marché importante du segment des PME-PMI, que ce soit en France ou dans n’importe quel pays. Tout le monde y œuvre et on y travaillait déjà il y a 8 ans. Le marché reste toujours atomisé et servir les entreprises PME/PMI reste la pépite que désormais tous ont découverte mais qu’aucun ne sait encore extraire…

Quel regard portez-vous sur la visioconférence ?

Charles Petruccelli : Elle est là, bien installée, efficace mais les entreprises continuent de voyager pour gagner de nouveaux marchés, rencontrer leurs clients, motiver leurs équipes. Rien ne remplace le face à face. La visioconférence n’a fait que remplacer les voyages inutiles, et cela, c’est bien pour la planète.

Pour finir, ressentez-vous une certaine frustration concernant cette lente évolution ?

Charles Petruccelli : Elle pourrait être de ne plus être désormais un acteur de la prochaine révolution… Il est temps que la distribution du voyage d’affaires se réinvente au même rythme que les nouveaux modèles de la nouvelle économie, mais c’est faux en ce qui me concerne : la vie est trop courte et j’aime trop ma nouvelle vie !
Cette interview est issue du MOOK #2, plus d’infos ici

Propos recueillis par Aurélie Krau.