La bataille de France

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La bagarre est bien partie entre Air France et Easyjet pour le contrôle des marchés provinciaux. Il est d’ailleurs très étrange que cette lutte soit amenée à opposer un transporteur britannique à la compagnie nationale et non pas deux opérateurs français, comme cela serait normal dans n’importe quel pays où le marché est important.

La bataille de France
A vrai dire il serait aussi normal dans ce cas qu’une compagnie française s’installe durablement en Grande Bretagne pour desservir Manchester, Glasgow, Birmingham, que sais-je ? Ce n’est évidemment pas possible car la politique suivie depuis des années par les autorités aéronautiques françaises a consisté à asphyxier toute compagnie potentiellement concurrente d’Air France. C’est ainsi qu’on a vu disparaître Air Inter, AOM et Air Liberté. Cette politique n’a d’ailleurs pas servi la compagnie nationale car, mise sous la tente à oxygène pendant des années, elle n’a pas développé les anticorps nécessaires à la lutte contre une concurrence féroce. Mais rien ne sert de se lamenter sur le passé, le fait est là. Easyjet se positionne maintenant comme un concurrent sérieux d’Air France.

Dans cette affaire, je dois d’abord saluer l’effort d’imagination de notre transporteur national. L’idée de créer des bases en province est originale et compliquée à mettre en opération. La compagnie espère une économie de 25% de ses coûts opérationnels et ce n’est pas rien. Nul doute que le développement d’un réseau européen au départ de certaines métropoles provinciales ne dynamise à la fois lesdites métropoles mais également puisse donner un champ nouveau d’expansion du trafic. Car il faut bien reconnaître que la région parisienne s’acharne à mettre des bâtons dans les roues aux opérateurs. La seule plateforme largement sous utilisée est justement celle qui est la plus pratique pour développer un trafic affaires, je veux parler d’Orly. Sauf que pour des raisons administratives elle continue à être rationnée. Cela bénéficie à la Province. Tant mieux pour le rééquilibrage de l’économie française, mais enfin, pendant combien de temps encore faudra-t-il supporter le diktat de certaines associations violentes qui masquent leur peu de représentativité sous la virulence de leurs attaques ?

La réplique d’Easyjet ne s’est pas fait attendre. La compagnie va baser de nouveaux appareils à Lyon, Nice et Toulouse et utiliser les capacités aéroportuaires pour desservir de nouvelles routes. Le problème, pour Air France est que même avec une réduction des coûts de 25%, ce qui représente un effort considérable, ceux-ci seront encore supérieurs à ceux d’Easyjet, car à ma connaissance de différentiel entre les deux transporteurs est plutôt de l’ordre de 35%. De plus les commandes d’avions passées par Easyjet en Airbus 319 sont considérables et la compagnie doit bien trouver de nouveaux débouchés. La bagarre s’annonce donc particulièrement sévère entre Air France qui doit attendre beaucoup de cette initiative et Easyjet qui considère maintenant la France comme un marché stratégique, pour ainsi dire qui veut en faire sa chasse gardée. Nul doute qu’elle se traduira par une surenchère à la baisse des tarifs ce qui risque d’appauvrir l’un et l’autre des compétiteurs.

L’affaire est par contre tout bénéfice pour les grands aéroports provinciaux qui étaient en panne de croissance. Ils ont une grande capacité d’absorption d’un trafic supplémentaire. Lyon Saint Exupéry, par exemple, avec un trafic de l’ordre de 6 millions de passagers (je n’ai pas le chiffre exact sous la main) dispose de 2 pistes alors que Gatwick traite plus de 30 millions de passagers avec une seule piste. C’est assez dire la capacité de croissance de ces aéroports. Ce sera également tout bénéfice pour les agglomérations choisies. L’offre de transport aérien entraine inéluctablement une accélération de la croissance économique.

Reste à espérer que cette nouvelle stratégie soit durable. On a vu, par le passé maints exemples de dessertes internationales à partir de la province, Lyon en particulier, devoir être abandonnées faute de rentabilité suffisante. Ce serait grand dommage dans le cas présent car on ne parle pas d’une ou deux lignes supplémentaires, mais bien d’un réseau nouveau à construire et ce, très rapidement. La chance viendra peut-être du fait que la concurrence ferroviaire ne pourra pas s’exercer de façon efficace en face de ces nouvelles lignes. Les contraintes du transport aérien, en particulier celles liées à la sûreté seront d’autant plus acceptables qu’il n’y aura pas d’alternative sérieuse en voie de surface.

Au fond, il faut se réjouir de ces initiatives, souhaiter bonne chance aux opérateurs et espérer que les populations concernées sauront profiter de ces opportunités.


Jean-Louis BAROUX