Retourne en Gironde, Grégoire de Fournas !

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Retourne en Gironde, Grégoire de Fournas !
Léopold Sédar Senghor a siégé à l'Assemblée nationale française à partir de 1945. Depuis 1959, il n'y est plus. Grégoire de Fournas, si, depuis juin 2022. On lui souhaite une carrière aussi brillante que celle de son glorieux pair. On lui souhaite à lui, pas à nous.

Des propos racistes ont été prononcés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas "que" la polémique de la semaine. C’est un moment politique d’importance sur lequel DeplacementsPros, sortant de sa réserve habituelle sur ces sujets, ne peut rester muet. 

DeplacementsPros est un média qui traite de voyages d’affaires, c’est-à-dire de voyages tout court, c’est-à-dire de rencontres par-delà les frontières, les continents, les différences culturelles. Parler de voyage tel qu’on l’entend, c’est, en creux, s'inscrire en faux contre toutes les intolérances basées sur les critères fallacieux de la nationalité, la religion, la couleur de peau. Pour une fois, cette promotion non dite, induite, de la diversité, on a envie de l’exposer plus clairement. C’est le député Grégoire de Fournas qui nous en fournit l’occasion.

Le député de la 5ème circonscription de Gironde Grégoire de Fournas, ce grand intellectuel comme seul le Rassemblement national (ex-Front national) sait en produire n’aurait pas dit “Retourne en Afrique !” ou “Qu’il retourne en Afrique !” (il y a débat) au député LFI (à la peau noire) Carlos Martens Bilongo, alors que, lors des questions d’actualité, ce dernier interrogeait le gouvernement sur le sort de centaines de migrants bloqués en Méditerranée après avoir été secourus.

Un pluriel bien singulier

Le brillant Grégoire de Fournas aurait en réalité dit “Qu’ils retournent en Afrique !” Le pluriel est d’importance : l’injonction ne se serait dès lors plus adressée au député interrogeant mais aux migrants africains dont il était question. C’est la ligne de défense de l’érudit Fournas. Car, pour ce grand humaniste, ça change tout. 

Pourtant, à supposer que le pluriel ait effectivement été sous-entendu (à contre-courant de ce qu’ont compris l’ensemble des députés présents, à l’exception de ceux du Rassemblement national (ex-Front national)), qu’est-ce qu’une telle intervention peut dire de celui qui la profère ? Comment, par quels truchements intellectuels, par quels méandres émotionnels, peut-on souhaiter à des personnes qui risquent leur vie pour quitter leur terre natale, comment, donc, peut-on leur souhaiter qu’elles retournent dans le lieu qu’elles ont si ardemment cherché à fuir ? Comment ? En étant raciste, en étant nationaliste, en étant d’extrême-droite. 

L’Assemblée nationale est un lieu de débats, voire de confrontations âpres. Les noms d'oiseaux les moins flatteurs peuvent y fuser, les attaques les plus destructrices peuvent s’y déployer, les avis les moins subtils peuvent s’y exprimer. On peut, par exemple, y affirmer en substance que les patrons sont des salauds ou les chômeurs, des feignants, oui, ça, on peut le faire. Mais se répandre en propos racistes, non. Pour la bonne et simple raison que, dans cet éminent hémicycle comme à l’extérieur, le racisme n’est pas une opinion : c’est un délit*.

Aussi écœurant qu’il soit, le délit dont le fulgurant Fournas s’est rendu coupable présente l’avantage de procéder au dévoilement de l’arnaque "Rassemblement national (ex-Front national)" : des années de quête zélée de respectabilité parties en fumée.

Fâcheuse sphère

Un petit rappel, en quelque sorte, que le Rassemblement national (ex-Front national) est l’héritier culturel de la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède, des Croix de feu du colonel de la Rocque, de l’OAS, de l’Action française de Maurras, de la Ligue antisémite d’Edouard Drumont, du pétainisme et du collaborationnisme, du colonialisme nostalgique et d’une kyrielle de groupuscules fascisants. Chaque élément de cette peu ragoûtante parentèle a tenté, à un moment ou à un autre, au gré des opportunités politiques, d’apparaître comme fréquentable. Le parti créé par Jean-Marie Le Pen n’échappe donc pas à cette tendance historique, dont l'acmé symbolique prit la forme du ripolinage de 2018 où le “Rassemblement” s’est substitué au “Front”. 

Dans ma vie perso, je ne dis jamais “RN” mais toujours “FN”. Et quand les circonstances professionnelles m’assignent à davantage de rigueur, j’écris toujours - vous l’aurez remarqué, peut-être avec quelque agacement dû à l'inconfort de lecture induit - "Rassemblement national (ex-Front national)". Grégoire de Fournas, par sa lumineuse intervention au cœur de la République, m’allègerait presque de cette peine, en rappelant opportunément d’où parlent les membres - ou, à tout le moins, les élus - du Rassemblement national (ex-Front national).

(*) Depuis la rédaction de cet édito, Grégoire de Fournas a été sanctionné d’une « censure avec exclusion temporaire », soit l’interdiction de siéger pendant quinze jours de séances, et la privation de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois. C’est le second député de la Ve République à se voir appliquer la sanction la plus sévère du règlement de l'Assemblée nationale.