Marc Rochet, Air Caraïbes : « Les low-cost long-courriers pourraient mordre sur le corporate, mais c’est au stade d’embryon »

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Marc Rochet :

Après la desserte des "départements d'Amérique française" que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint Martin, Air Caraïbes ajoute une destination à son arc, Cuba. La compagnie a lancé sa liaison Paris Orly - La Havane le 9 décembre 2016. Le vol inaugural a été l'occasion pour la compagnie de dévoiler ses ambitions et ses projets.

Depuis le 9 décembre 2016, Air Caraïbes propose 2 liaisons hebdomadaires entre Cuba et Paris : une 1ère rotation le vendredi avec un vol direct aller/retour entre Orly Sud et La Havane et une seconde le mardi, prévue avec une escale à Santiago de Cuba. Par ailleurs, l'offre est complétée par une 3ème liaison, opérée par Cubana de Aviación entre les deux capitales, avec un vol aller via Santiago de Cuba le dimanche et un vol direct le samedi entre La Havane et Orly.

Air Caraïbes, qui est parvenue à dépasser Air France en part de marché sur les Antilles françaises en juillet et août dernier, est bien décidée à jouer aussi le rôle de challenger de la compagnie nationale sur Cuba. Elle a travaillé ardûment pour se poser rapidement sur cette destination dont la France est le 10ème partenaire économique avec 180 millions d'euros d'échanges commerciaux.

Marc Rochet, Président du Directoire d'Air Caraïbes , explique "Nous avons voulu être les premiers à profiter de l'ouverture du trafic de Cuba. Et cela a été sportif. Le dernier coup de tampon a été donné 48 heures avant le départ". Il a détaillé pour DeplacementsPros.com les ambitions de la compagnie ainsi que son regard sur le secteur aérien actuel.

DeplacementsPros : Air Caraïbes a choisi de mettre le cap sur la Havane, quel est le potentiel corporate de cette destination ?

Marc Rochet, Président du Directoire d'Air Caraïbes : Nous avons choisi Cuba car c'est une destination en pleine croissance. La progression devrait être de l'ordre de 15% par an. Il n'y a pas beaucoup de destination où on a des taux aussi forts. Soyons clair néanmoins, ce n'est pas vraiment une route pour le trafic affaires. Le développement va se faire principalement sur le volet touristique. Mais d'un autre côté, c'est une île qui a tellement de besoins en infrastructures, en équipements, en biens de consommation ou encore en construction diverses et variées que nous pouvons penser qu'il y aura la génération d'un trafic affaires à terme. On en captera une partie mais pas autant que nous le souhaiterions car nous aurons peu de fréquences au début. Mais plus on montera en fréquence de vols, et plus on attirera cette clientèle.

DeplacementsPros : Et pour le MICE ?

Marc Rochet : Il y a un gros potentiel sur ce segment. Cuba séduit les organisateurs par sa sécurité, par la facilité d'y monter des opérations mais également ses atouts touristiques : le soleil, la mer, l'histoire de l'île qui est fabuleuse. Mais il faut du temps pour construire la demande et mettre une offre en face. À partir de 2018, je pense que nous aurons une offre assez structurée.

On ne peut pas avoir ces trafics au début, ne serait-ce parce que lorsque vous montez une opération événementielle ou un congrès ici, vous l'avez préparé il y a 12 ou 18 mois. Et à cette époque là, nous n'étions pas encore sur Cuba. Il y a donc 18 mois de décollage sur ce segment.

DeplacementsPros : Quel est votre part business sur l'ensemble de votre réseau ?

Marc Rochet : Notre part de voyages d'affaires chez Air Caraïbes est en moyenne - toutes lignes confondues - de l'ordre de 10%. Elle est toutefois très variable en fonction de la route et l'offre de prix. Sur Saint-Domingue - Pointe à Pitre, il est assez faible, tout comme sur Fort de France - Sainte Lucie où il est quasiment équivalent à zéro. En revanche, sur Pointe à Pitre - Fort de France, qui est notre principale ligne business régionale, il est supérieur à 30%.

Sur le long-courrier, cela se joue entre Paris - Point à Pitre et Paris - Fort de France. Cayenne deviendra bientôt notre première route. Mais pour le moment, il n'y pas assez de vols. C'est pourquoi il est prévu dans le plan 2017 que nous ajoutions une 4ème fréquence directe sur Cayenne. Cela va nous permettre d'acquérir la légitimité à avoir un trafic affaires. 

DeplacementsPros : French Blue a été lancée il y a quelque mois. Quel est le bilan de ces premiers mois d'exploitation ?

Marc Rochet : French Blue a aujourd'hui deux volets : un côté opérationnel qui se passe bien puisque nous avons opéré pour le compte d'Air Caraïbes en juillet/août  2016 et nous avons le socle de l'activité sur Punta Cana qui est en croissance. Le deuxième volet sera le lancement de la Réunion le 15 juin 2017, à raison d'un vol quotidien. Nous avons d'assez bon engagement et il y a du potentiel grâce à notre politique tarifaire.

Faisons un parallèle avec les Antilles. Toutes compagnies confondues, les tarifs ont baissé de 8 à 9% et le trafic a cru de 5% et 10% environ selon les îles et les périodes. Il n'y a pas eu cet effet à La Réunion car les prix n'ont pas bougé. Avec notre arrivée, les tarifs vont bouger. Par effet mécanique, le trafic va croître et nous souhaitons en absorber une grande partie.

DeplacementsPros : N'est-il pas difficile de gérer plusieurs opérateurs? Ne risquent-ils pas de se faire concurrence à terme ?

Marc Rochet : Nous avions déjà plusieurs opérateurs puisque la partie régionale d'Air Caraïbes est gérée de façon locale, même si elle est sous le contrôle des opérations au niveau central. Nous avons Air Caraïbes Atlantique qui est la mise en place de gros porteurs sur l'arc Caraïbes et maintenant French Blue. C'est un atout de se diversifier. Ce ne sont pas les mêmes avions, les mêmes densifications des cabines, pas les mêmes produits, pas les mêmes équipages. Chacun a sa spécialité. Je crois que c'est un atout, une force.

Je constate d'ailleurs que lorsque nous avons lancé le projet French Blue sous le nom alors de Sunline, beaucoup de doutes ont été émis. Aujourd'hui, tout le monde veut faire du low-cost long-courrier : Air France veut créer Boost, Corsair s'intéresse à des projets similaires. Nous sommes sans doute en avance sur les autres, tant mieux pour nous et pour l'émulation que cela va provoquer. Que le meilleur gagne! 

DeplacementsPros : Mais la reprise de la hausse des prix du pétrole ne représente-t-elle pas un risque pour les low-cost long-courrier à terme ?

Marc Rochet : Je vais le dire différemment. Le pétrole bas a eu deux avantages, là où il a été répercuté sur les prix. Premièrement, il a permis de faire croître le trafic, c'est bon pour tout le monde. Deuxièmement, comme le pétrole est un élément essentiel du coût, si le coût est plus bas, cela permet de prendre plus de risques. Cela a donc permis l'éclosion de ces nouveaux modèles.

Aujourd'hui, le pétrole est en train de remonter, mais soyons clair il y a 3 ou 4 ans nous étions à 900 dollars la tonne de kérosène. Nous sommes tombés à 450 et nous sommes maintenant en train de remonter vers 500/520. Cela reste un pétrole pas cher pour le transport aérien.

Autre point, le coût que représente le carburant n'est qu'une partie des coûts des compagnies. Elles doivent aussi faire des efforts de productivité et d'efficacité, permettant d'avoir une offre encore intéressante pour les clients. Ces derniers voyagent plus quand les prix sont moins élevés. A nous de trouver les bonnes solutions pour cela.

DeplacementsPros : Le Business Travel pourrait-il être une cible pour les low cost long-courrier ? A l'exemple de Ryanair et EasyJet, qui se développent maintenant sur ce segment au niveau européen?

Marc Rochet : Je n'en suis pas sûr. Pour les low-cost moyen-courrier, il y a eu un effet fréquence. Lorsque les compagnies ont commencé à avoir plusieurs vols sur une ville donnée, elles ont pu vendre du Business. Pas avant.

Ce qui vaut cher pour le voyageur d'affaires, c'est le temps. Il ne veut pas attendre 3 jours pour partir. Lorsqu'il y a de la fréquence, forcément il commence à s'intéresser à l'offre. Il est comme tout le monde, il a un raisonnement économique. Il ne voit pas pourquoi il payerait plus cher s'il a un service efficace à sa disposition.

Dans le long-courrier, je doute que les modèles low-cost arrivent rapidement à avoir assez de vols sur une même route pour pouvoir répondre à cette clientèle. Ceux-ci dit, il y a 20 ans, peu de gens croyait au succès low-cost court et moyen courrier. Certains prédisaient sa perte, ils se sont trompés. Donc personne ne peut prédire l'histoire du long-courrier sur ce créneau.

On constate aussi que les projets low-cost ne sont pas mono-classe. Les compagnies long courrier ont des offres Premium et Eco. Les compagnies se sont réservé la possibilité d'aller mordre sur cette clientèle business mais pour le moment, c'est au stade d'embryon

DeplacementsPros : Quel regard portez-vous sur le rapprochement XL Airways/La compagnie ? 

Marc Rochet : Je salue tout rapprochement qui permet aux compagnies de retrouver une nouvelle vision, de nouvelles stratégies pour se développer. Mais le low-cost, c'est avant tout des coûts plus bas comme son nom l'indique. Pour avoir des coûts plus bas, il faut être simple, si on commence à avoir plusieurs types de low-cost, on rentre dans des coûts plus élevés et on ne remplit plus la mission.

Prenons l'exemple de Ryanair et EasyJet, on a longtemps dit qu'ils allaient faire du long-courrier. Moi, j'ai toujours été convaincu qu'ils n'en feraient pas, car ça complexifie le modèle. Le long et court-courrier, c'est compliqué. Ces segments n'ont pas la même réglementation, pas les mêmes pilotes, pas les mêmes avions, pas les mêmes réseaux ou pays desservis donc ça n'a pas pu se lancer chez eux.

DeplacementsPros : Quel avenir voyez vous pour le monde aérien ?

Marc Rochet : Le low-cost va continuer à se développer en court et moyen-courrier car il est redoutablement efficace. Il va se construire autour de compagnies ayant un réseau maillé car celui-ci est nécessaire pour mieux utiliser les avions et baisser les coûts, encore une fois. Il ne se développera pas autour de grands points de focalisation. Pour le long-courrier, la présence du low-cost est indiscutable. Il va se développer. 

Pour les compagnies traditionnelles, on n'échappera pas à un phénomène de concentration. Les missions à couvrir, les flottes à mettre en œuvre, les territoires à conquérir sur le plan commercial demandent de tels investissements que les petites compagnies auront des difficultés. On le voit déjà en Europe avec certains transporteurs, avec la santé d'Alitalia ou encore de Tap Portugal. On va forcément se concentrer sur trois ou quatre grands groupes dans les prochaines années.


Entretien réalisé par Sophie Raffin