Moins de 24 heures après l’annonce du rachat de CWT par Amex GBT, nous nous essayons à une analyse de l’opération, avec l’inspiration précieuse de Christophe Roth, du cabinet EPSA.
Rappelons les faits d’une phrase : hier, lundi 25 mars, nous avons appris en fin de matinée, le rachat de CWT par Amex GBT, pour un montant de 570 M€, et DeplacementsPros était le premier média français à s’en faire l’écho.
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Pour pas mal d’acteurs de l’industrie que nous avons interrogés, cette opération suscite la surprise mais pas l’étonnement. En effet, comme le rappellent nombre d’entre eux, “on en parle depuis une dizaine d’années”. En outre, “Amex GBT suit depuis longtemps maintenant une stratégie de croissance externe”. N’empêche, la nouvelle agite le landerneau BT depuis quelques heures, alors que nous proposons (déjà) une tentative de prospective des impacts d’un tel rachat sur le marché.
Peut-être est-ce d’ailleurs trop tôt ? Après tout, comme nous l’ont confirmé Stéphane Birochau et Yorick Charveriat, respectivement DG France, Italie, Grèce, Maroc de CWT et DG France de GBT : la procédure va maintenant durer plusieurs mois avec un certain nombre d’approbations à obtenir. Leur parole est, fort logiquement, contrainte en pareilles circonstances… C’est donc nous qui ajoutons : approbations, notamment en termes de loi sur la concurrence, surtout au pays, les Etats-Unis, qui les a inventées.
Pourquoi maintenant ?
Encore une fois, l’affaire est dans l’air depuis une dizaine d’années. En quoi cette fin de Q1 2024 a-t-elle rendu les choses possibles ? Pour Christophe Roth, du cabinet EPSA, “ce qui freinait, je pense, c’était le prix. Mais il y a eu une conjonction de deux faits principaux concourant à une baisse de ce prix : le retrait progressif de la famille Carlson de l’actionnariat et un CWT qui, ces dernières années, a perdu de sa superbe.”
Le retrait progressif de la famille Carlson s’est fait au profit de fonds d’investissement, aux stratégies plus court-termistes, probablement, et à une absence de critères “sentimentaux” vis-à-vis de l’entreprise, sûrement.
Mais il serait naïf de détacher cette considération de cette “perte de sa superbe” évoquée par Christophe Roth. Elle se matérialise par ce Chapter 11 subi par CWT à l’automne 2021, un endettement abyssal, la perte de nombreux clients dont quelques-uns emblématiques (Google), un CEO de CWT débauché par GBT, une cyber-attaque grandement relayée en 2020... et si, à ce cocktail de mauvaises nouvelles, on voulait ajouter quelques gouttes de soupe à la grimace : un plan social chez CWT France (au moins) qui devrait être annoncé très prochainement (exclusivité DeplacementsPros).
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570 M€, donc. Deal ! (Nous reviendrons, dans un prochain article, sur ce montant qui ne nous semble effectivement pas faramineux).
Que va y gagner Amex GBT ?
On l’a dit, GBT est une adepte de la croissance externe. Alors envisageons le rachat de CWT à l’aune de quelques-unes de ses acquisitions les plus importantes de ces dernières années.
Il y a KDS rachetée en 2016 ou encore Egencia en 2021. Typiquement des achats de complémentarité. Avant tout en termes technologiques dont devait bénéficier GBT, une TMC traditionnelle, en déficit de techno “homemade”, mais aussi en termes de segments de marché : welcome, mid-market !
Nous ne sommes clairement pas dans ce cas de figure. Le rachat, en 2018, de HRG (Hogg Robinson Group) se prête davantage à la comparaison. En effet, si HRG ne trouvait pas sa place sur le podium des TMC globales, elle se plaçait sans aucun doute dans le quinté. D’autre part, son ADN “agence traditionnelle” (gros plateaux, multi-GDS, muti-SBT, grands comptes) n’était pas du tout différenciant par rapport à son acquéreur.
De la même façon, CWT offrira, pour Amex GBT, non pas de nouvelles compétences (nous parlons ici très vite : en période de pénuries de talents, il est toujours bon d’intégrer des équipes aguerries - dans la mesure des licenciements et “départs encouragés”), non pas de nouveaux marchés… Mais un portefeuille clients gonflé et, par voie de conséquence, un chiffre d’affaires (ce qui n’est pas de la rentabilité, notons-le) et une puissance de négociation accrus.
Encore Christophe Roth nous souffle-t-il que CWT est présent sur des marchés sur lesquels GBT est plus discrète, ainsi l’ERM (Energie, Ressources marines), soit l’industrie pétrolière et para-pétrolière. Alors indiquons cette niche, certes importante en termes de rentabilité mais aussi de savoir-faire, pour cocher la case “complémentarité”. Mais timidement.
Le poids d’Amex GBT : trois fois plus lourd que son suiveur
Quand on parle d’une force de frappe en termes de négociation, de gonflement du portefeuille client, il faut l’estimer à sa juste valeur. Christophe Roth nous propose une donnée qui nous semble parlante. Certes, elle date de 2019, mais c’est peut-être la dernière année où les chiffres étaient publiés avec assez de standardisation et de régularité pour que la comparaison entre eux soit significative. Cette année-là, le CA de GBT était égal au cumul de celui de CWT et de BCD Travel, ses deux challengers directs.
Disons-le tout net : en termes de TMC globales, l’offre tend à se déplacer, avec cette acquisition, d’un oligopole réduit au monopole quelque peu élargi. (D’où nos interrogations théoriques - mais pas seulement - sur la validation de cette acquisition).
L’impact sur le client ? Christophe Roth : “Les entreprises qui veulent une solution globale auront un choix encore plus réduit”. Mais à ce vide, le même de nous servir un verre à moitié plein : “Je pense que cette acquisition de CWT par GBT - et donc la disparition d’un acteur majeur de l’industrie du business travel - va ouvrir de nouvelles opportunités pour de nouveaux entrants.”
Christophe Roth nous en a dit plus à ce sujet. Et d’autres interlocuteurs, aussi.. A la suite de cette information sismique, nous avons contacté de nombreux connaisseurs du marché “voyage d’affaires”. Nous ne manquerons pas de vous faire part de leurs impressions à ce sujet tout au long de la semaine. Au moins. Ça vaut bien ça, car, oui, c’est vraiment un tremblement de terre.