A l’heure où l’avion est de plus en plus décrié, y compris dans le monde de l’entreprise, nous avons donné la parole au chercheur Aurélien Bigo, spécialiste de la transition énergétique dans les transports. Son travail vise en effet à approfondir les moyens pour atteindre l’objectif de neutralité carbone dans le secteur des transports en France d’ici 2050. Son propos souligne les défis auxquels sont aujourd’hui confrontés les acteurs du transport aérien. Interview.
Le secteur du transport aérien s’est fixé comme objectif une réduction de 50% des émissions de CO2 d’ici à 2050, par rapport à 2005. La technologie peut-elle permettre à elle seule d’atteindre cet objectif ?
Aurélien Bigo : Non, elle ne sera pas suffisante. Les trajectoires d’émission vont être très difficiles à aligner aux objectifs fixés par le secteur du transport aérien, voire impossible. Or, ceux-ci sont plus modestes que les objectifs négociés dans le cadre de l’accord de Paris ! Pour y parvenir, il faut envisager une plus grande sobriété dans les déplacements aériens. Au regard du rapport publié l’an dernier par les Nations-Unies sur l’état des trajectoires climatiques de 2020 à 2030, soit des projections à court terme, il faut baisser les émissions de CO2 de 2,7% par an.pour limiter le réchauffement climatique à 2°. Or, les progrès techniques dans le transport aérien améliorent l’efficacité énergétique de 1 à 1,5%. Il est impossible d’atteindre ces objectifs avec un trafic en croissance. Et si l’on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5% par an, il faudrait réduire les émissions de 7,6%. Ce qui correspond à la baisse que l’on attend cette année avec la pandémie de Covid-19…
Avec la future génération d’avions, le transport aérien va pourtant faire des progrès spectaculaires…
Il existe plusieurs options à moyen et long-terme pour décarboner le transport aérien. L’annonce par Airbus d’un avion à hydrogène montre bien que les engagements de réduction de CO2 avec cette technologie commenceront tout juste à l’horizon 2035. Et l’arrivée future de cet appareil ne doit pas justifier une augmentation du trafic dans les prochaines années. De plus, l’hydrogène est un défi technique, industriel et économique, dont on n’a pas la certitude aujourd’hui qu’il sera tenu. En outre, les appareils sur lesquels travaille le constructeur européen sont des court-moyens courriers, qui opèreront sur des dessertes où l’on compte privilégier de plus en plus le train. Des scientifiques notent par ailleurs que les trainées de condensation, dont ils estiment l’impact encore plus important que le carburant brûlé par les avions, ne seront qu’en partie seulement réduites par les technologies alternatives tel l’hydrogène. Bref, il est clair que le transport aérien va rester carboné pendant encore très longtemps.
Quid du transport longue distance, sachant que les projets actuels d’avion à hydrogène n’incluent pas encore des long-courriers ?
Sur ce point, il faut vraiment questionner la pertinence de voyager loin, ou du moins à intervalle régulier ou pour des périodes très courtes, et probablement s’employer à privilégier des destinations moins lointaines. Mais comme on le voit aujourd’hui avec les mesures liées à la crise sanitaire, l’acceptabilité est un facteur clé dans l’adoption de mesures…
Au regard par exemple des réactions hostiles à la suppression de la ligne Orly-Bordeaux, on voit bien la difficulté d’imposer le choix du train au détriment de l’avion…
Il y a en effet un grand décalage entre ce qu’il faut faire pour tenir les objectifs de réduction de CO2, et ce qu’on est capable de mettre en place aujourd’hui. Sur ce point, le Haut Conseil pour le Climat a d’ailleurs souligné les dissonances entre les ambitions climatiques que l’on se fixe et les politiques réellement mise en place. Le report de l’avion vers le train, quand la durée du trajet est pertinente, est pourtant la mesure la plus simple et la moins contraignante. Il s’agit juste de changer de mode de transport ! Sur des destinations plus lointaines, les décisions seront autrement plus engageantes.
Vous estimez pourtant que le report de l’avion vers le train ne peut être qu’une mesure parmi d’autres…
Le report au profit de trajets en train jusqu’à 4h30 diminuerait les émissions de CO2 du transport aérien français de 5%, ce qui est important mais reste encore insuffisant. Soutenir le train ne suffit pas, il faut aussi mettre en place d’autres contraintes sur l’avion. L’une d’elle peut être la hausse de l’écocontribution dont le revenu est faible, surtout quand on le rapporte au montant de l’exonération fiscale du kérosène. L’écocontribution actuelle est indolore et n’a pas un impact suffisant pour inciter à ne plus prendre l’avion. Mais il faut bien reconnaitre qu’une taxe au niveau européen serait plus juste, si elle n’était pas si difficile à mettre en place, elle permettait en effet d’éviter toute distorsion de concurrence.
Parmi les autres solutions, on pourrait se pencher sur celle préconisée par l’équivalent britannique du Haut Conseil pour le Climat, soit une taxation progressive, faible ou nulle pour ceux qui prennent rarement ou jamais l’avion, de plus en plus élevé au regard du nombre de vols effectués. Sachant que les voyageurs fréquents constituent la majorité des passagers des compagnies aériennes… Il faut trouver un mix dans la démarche globale, afin que des mesures incitatives telle la taxe carbone ne condamnent pas d’abord les plus modestes à ne plus prendre l’avion.
De telles mesures sont tout de même difficiles à concevoir pour un secteur qui traverse une crise sans précédent…
Cette crise doit être une opportunité de repenser le secteur aérien. L’argent public doit l’aider à réaliser la difficile transition des emplois. De même, les financements publics utilisés pour maintenir sous perfusion les petits aéroports régionaux ou des liaisons peu fréquentées seraient mieux utilisés en finançant le développement des trains de nuit ou les mobilités du quotidien, qui créent également de l’emploi.
Le secteur du transport aérien a déjà réalisé de gros efforts de conversion vers un transport moins polluant…
C’est vrai en effet que des progrès énormes ont été accomplis. Les consommations par kilomètre/passager ont été divisées par quatre depuis un demi-siècle, ce qui a été initié dans un premier temps pour des raisons économiques et depuis quelques années aussi pour des raisons écologiques. Problème : ces baisses de coûts expliquent en grande partie la démocratisation du transport aérien… et l’explosion du trafic avec à la clé une forte hausse des émissions de CO2 !
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Transport décarboné (2/3) : la technologie, un levier parmi d’autres
Transport décarboné (1/3) : l’avion et le train à l’amorce d’une révolution