16€, et après ?

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Coup de tonnerre dans la distribution du transport aérien. Le groupe Lufthansa annonce qu’à partir du 01 septembre, les réservations passées au travers d’Amadeus seront « taxées » de 16 €. Lorsque l’on sait que le prix de vente moyen d’un vol court courrier est de l’ordre de 40 € si l’on fait abstraction des nombreuses taxes et surcharges qui viennent se rajouter au prix du transport, ce montant est tout à fait considérable.

A quoi joue donc Lufthansa ? Quel avantage le groupe pense-t-il tirer d’une telle politique ?
 
Très naturellement, on peut d’abord penser à la diminution des charges. Comme le font toutes les compagnies aériennes, Lufthansa souhaite faire baisser ses coûts en faisant supporter la charge par les sous-traitants. En l’occurrence, ce sont les agences de voyages qui devront en être de leur poche. Oh certes, Lufthansa leur offre un accès privilégié à son site de réservation « on line » mais dans cette hypothèse, le règlement des billets devra se faire de manière instantanée et les agents ne bénéficieront plus du paiement différé via le BSP.
 
On peut aussi y voir la première offensive de taille contre les GDS. Depuis de nombreuses années, les compagnies aériennes pestent contre ce qu’elles appellent le « racket » des GDS. C’est oublier un peu vite que ces derniers ont justement été créés par les grands transporteurs et qu’en particulier, Lufthansa a été l’un des fondateurs d’Amadeus avec Air France et Iberia. Le système de facturation des GDS qui, reconnaissons-le, fait payer aux compagnies aériennes les « incentives » donnés aux agences de voyages, a été validé par ces mêmes compagnies. Les fondateurs ont d’ailleurs plus que largement récupéré leur mise lorsqu’ils ont revendu leurs actions.
 
Enfin, on peut discerner une politique qui visera à se passer des intermédiaires de la distribution, en clair des agents de voyages. C’est d’ailleurs un des objectifs plus ou moins avoué du NDC « New Distribution Capability » que souhaite généraliser IATA dans les toutes prochaines années. En fait, le NDC permettra aux compagnies aériennes non seulement de vendre les désormais fameux « ancilliary » services : surcharge bagages, attribution de sièges, Wi-Fi à bord, accès aux salons etc… mais également de vendre des hôtels, des locations de voitures ou tout autre service touristique directement au travers de leur outil de réservation. Les compagnies aériennes ont commencé par éliminer les commissions des agences de voyages, lesquelles ont été amenées à retrouver leurs marges sur les packages touristiques, elles vont maintenant s’attaquer à cette activité. Le danger pour les distributeurs est évident.
 
Mais quelles seront les conséquences pour les compagnies aériennes si cette stratégie est généralisée et menée à son terme ? On a vu déjà ce qui s’est passé lorsqu’elles ont arrêté de rémunérer leurs intermédiaires : pour économiser le montant des commissions versées aux distributeurs, en gros 9%, elles ont perdu 25% de leur chiffre d’affaires dans la baisse continue des tarifs tirés vers le bas par les agences de voyages, qui devaient bien trouver le moyen de justifier auprès de leurs clients les « fees » qu’ils étaient obligés de leur faire payer. Au bout de 15 années de cette politique qu’il faut tout de même bien qualifier de stupide, les compagnies reviennent tout doucement au commissionnement.
 
On comprend dès lors d’autant moins cette offensive de Lufthansa. Si le but est de remonter le prix moyen du billet, et cela serait très justifié, pourquoi ne pas tout bêtement augmenter les tarifs ? Si par contre le but est de transférer dans les services de la compagnie une tâche qui était jusqu’à présent réalisée par les agences de voyages, alors on n’en voit pas un instant l’intérêt car les coûts internes aux compagnies aériennes sont nettement plus élevés que ceux des distributeurs.

L’enjeu pour le transport aérien européen est de retrouver la voie de la profitabilité et de reconstituer ses marges. Il n’y arrivera qu’en donnant aux clients l’accès à un produit que ces derniers seront prêts à payer plus cher. Pour cela, il faudra d’abord faire le ménage dans les excès du « yield management ». Les débordements de cet outil ont amené les compagnies à déconnecter leur produit du prix de vente, de sorte que les clients imaginent que les tarifs les plus bas sont les seuls valables alors qu’ils ne permettent en aucun cas de couvrir les prix de revient.
 
Le bon sens a disparu. Les clients n’y comprennent plus rien. Les agents de voyages qui, rappelons-le, contrôlent encore 70% du transport aérien, sont incapables de fournir les explications rationnelles, car il n’y en a tout bonnement pas. Il faudra bien arriver à mettre autour d’une table les représentants mondiaux des transporteurs et des distributeurs : IATA, ECTAA, ASTA … pour retrouver les voies de la prospérité.
 
Jean-Louis BAROUX