Business travel : ces insaisissables et désirables voyages non gérés

383
Politique voyage : “Désormais, soit notre cabinet refacture les déplacements, soit… il n’y a plus de déplacements”

Le segment de marché le plus important du voyage d'affaires est certainement celui qui échappe aux TMC. Les plus grandes d'entre elles s'attèlent à cette quête difficile. Mais les OTA loisirs constituent de sérieux concurrents.

Serko, l'éditeur néozélandais de logiciels dédiés à la distribution travel vient de publier ses résultats du Q1 23, et ils sont excellents. Si le nom de cette entreprise des antipodes vous dit quelque chose, c'est peut-être parce que vous l'avez lu dans nos colonnes. Nous en avons effectivement parlé il y a quelques semaines, à l'occasion du partenariat noué entre CWT et Booking.com for Business.

> Lire aussi : Booking.com et CWT : deal au sommet

Serko est en effet l'opérateur technologique de la partie "corpo" de la célèbre plateforme hôtelière. Voilà pour le rappel, mais il est en fait incomplet. Le partenariat se situe en effet à un étage supérieur, au niveau de Booking Holdings, soit la plus grande agence de voyage au monde en termes de chiffre d'affaires, excusez du peu. Concrètement : ce que Serko fait pour Booking.com for Business, il le fait aussi pour Kayak for Business.

> Lire aussi : Kayak lance sa plateforme 100% business

Que disent donc les résultats de Serko ? Ses revenus émanant de commissions (qui représentent la moitié des revenus totaux) sont passés d'environ 3 millions de dollars néo-zélandais (1,7 M€) au cours de l'exercice 2022, à environ 23 millions de dollars néo-zélandais (13 M€) un an plus tard. Or, considère un analyste du cabinet australien Ord Minnett, la plus grande partie de ces commissions sont le fruit du partenariat "business travel" établi avec Booking Holdings.

On peut en déduire une multiplication par plus de 7 des transactions opérées sur les entités corpo de l'OTA néerlandaise, Booking for Business avant tout. C'est un sérieux avertissements pour les agences de voyages traditionnelles. C'est vraisemblablement ce que s'est dit l'un de leurs mastodontes, CWT, en s'associant avec opportunisme à un acteur de l'open booking : faire d'une menace un allié en lui proposant d'enrichir sa solution.

Une bonne et une mauvaise nouvelle

Bonne nouvelle : il y a fort à parier que le succès de Booking for Business ne repose pas sur la captation de clients jusqu'alors gérés pas des TMC. Mauvaise nouvelle : ce sont très vraisemblablement des PME et TPE dont les voyages ne l'étaient pas, gérés. Or, il est là le levier de croissance sur lequel lorgnent les agences business travel, d'autant que la reprise pleine et entière des voyages des grands groupes peine à se faire depuis la fin de la crise pandémique. 

Lors de la publication des résultats du Q1 23 d' Amex GBT, son PDG Paul Abbott déclarait que la valeur estimée "sur la base des niveaux de reprise actuels" des dépenses de voyage des nouveaux contrats conclus avec les petites et moyennes entreprises (via Egencia) s'élevait à 2,2 milliards de dollars. Sur ce montant, environ 30% provenaient de la catégorie "non gérée". Et que les clients jusqu'alors "unmanaged" représentaient 55% des nouveaux clients TPE/PME. 

> Lire aussi : Amex GBT : +65% de CA au 1er trimestre 2023

Dans la même tonalité, en novembre 2022, Graham Turner, DG de Flight Centre Travel Group (propriétaire de FCM), déclarait que plus de la moitié des nouveaux comptes de la division Corporate Traveler (qui s'adresse aux TPE/PME) en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis étaient "auparavant non gérés, ce qui reflète l'évolution actuelle vers des programmes de voyages gérés en période d'incertitude".

L'avantage des OTA "loisir native"

Eh bien, si Graham Turner dit vrai, tout va pour le mieux dans le meilleur des monde possibles pour les agences traditionnelles ! Sauf qu'il semblerait qu'elles partent avec un sérieux handicap. Pour ces clients unmanaged, la force de la marque est essentielle. Et la force de la marque, elle s'obtient dans le leisure.

De plus, les plateformes loisirs peuvent servir de sas. A ce sujet, il y a un an, Steve Hafner, PDG de Kayak, a décrit pour le média américain Phocuswire la "vraie beauté" ("the real beauty") du modèle commercial de Kayak for Business : "Nous pouvons intercepter les personnes qui utilisent Kayak et les orienter vers les voyages d'affaires.

C'est peut-être ce qui a inspiré Ariel Cohen, cofondateur de TripActions. En même temps que sa solution se rebaptisait Navan (en février dernier), elle s'ouvrait au voyage d'agrément, à condition qu'on s'y inscrive... avec une adresse professionnelle !

> Lire aussi : De quoi Navan est-il le nom ?

Zahir Abdelouhab, general manager France, nous précisait alors les choses : "L'idée est que si on a 100 personnes travaillant pour une même entreprise qui utilisent notre service à titre personnel, on puisse aller voir cette entreprise pour le lui signaler". 

A propos de ce marché non géré, Evan Konwiser, directeur du marketing et de la stratégie d'Amex GBT, déclarait dans une interview accordée à nos confrères américains de The Company Dime il y a quelques mois : "Quand un grand nombre de personnes s'attaquent à un espace, ça signifie généralement qu'il s'agit d'un espace possible vraiment intéressant, convaincant et important, pas d'une connerie ("bullshit")."

Et cet "interesting, compelling, important possible space" du business travel non géré, l'employeur d'Evan Konwiser l'a chiffré : 675 milliards de dollars.