Canaux de distribution : une révolution en vue ?

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Sans vouloir faire de droit ni polémiquer, mais pour rebondir sur l’excellente tribune de Régis Chambert, je veux, cette semaine, vous parler de la distribution, des marges, des fournisseurs (les prestataires) et des attentes des clients.

Sur un marché bien établi, les nouveaux arrivants ne sont pas toujours les bienvenus et pourtant, la technologie change à une vitesse infernale laissant la porte ouverte à de nouvelles solutions ou remettant en cause des pratiques et des usages qui n’ont plus lieu d’être. De fait, que ce soit dans l’hébergement, le transport routier ou les agences de voyage, le nombre de contentieux explose alors même que certaines branches du marché des déplacements implosent. Mieux, malgré ces contentieux, les affaires continuent et même prospèrent car elles répondent à une réalité : un changement de cap des attentes clients. Tous ces bouleversements imposent une clarification et une reconsidération des attentes des voyageurs car il y a beaucoup trop d’errance et d’incompréhension sur le marché des déplacements d’affaires et touristiques qui brouillent la vue des utilisateurs et fige le marché français qui, pour rappel, est quasiment deux fois inférieur à celui de nos voisins allemands et anglais.

Le marché

Seules 4 150 entreprises ont plus de 250 salariés en France (Insee 2018). Il y aurait 16 000 acheteurs impliqués dans les achats de voyages. 2,26 millions d’entreprises de moins de 10 salariés complètent cette image… Il est donc totalement illusoire de croire que la distribution n’a pas lieu d’être car seules 3% des entreprises françaises peuvent se permettre d’investir dans un lien direct avec un prestataire (risque commercial de dépendance, investissement en technologie et en personnel) ou bien dans une ressource dédiée. Preuve en est le succès des sites comparateurs ou bien des plateformes multi-sources qui cartonnent car elles sont en phase avec leur temps, avec les besoins des voyageurs et donc des clients. Mieux, elles pallient un manque que le circuit de distribution « ancien modèle » ne savait pas servir.

Les achats

Entre distribution classique (l’ancienne agence de voyage qui se limitait à l’émission des titres de transport désirés par les clients), moderne (l’agence type place de marché) ou vente directe (NDC, web), quel circuit bénéficie le plus à l’acheteur ? Pour ma part, ma position est on ne peut plus claire. Un distributeur passif ne faisant que proposer un éventail limité d’offre en y ajoutant des frais (directs ou indirects) est, de nos jours, une notion obsolète. En revanche, une place de marché offrant une valeur ajoutée identifiable par un service, des outils exploitables et un accès « full content » (accès à la totalité de l’inventaire d’une compagnie aérienne par exemple) est la réponse idéale aux attentes des clients et à la configuration actuelle du marché. La rémunération d’un tel circuit de distribution peut s’apparenter à des peines et soins également appelé coefficient majorateur, voire coefficient de prix de vente ou coefficient multiplicateur.

Quelque soit son nom, ce coefficient peut faire l’objet d’une négociation par l’acheteur. Il peut être fixe ou variable en fonction des attentes des demandeurs. Dans le cadre d’un coefficient variable, ce dernier peut dépendre de l’urgence de la demande, de sa complexité, du montant total, des termes de paiement... L’industrie connait très bien ce mécanisme utilisé dans le cadre de la sous-traitance d’ensembles techniques.

Dans cette configuration, l’acheteur ou le travel manager doit avoir accès à un reporting clair et régulier lui permettant de vérifier la bonne application des conditions négociées. Ajouté à ses dernières, il faut impérativement définir et, à fortiori, mesurer le niveau de service attendu (SLA pour Service Level Agreement pour notre marché). Cela veut donc dire que l’expression du besoin doit être parfaitement définie, formulée et documentée par l’acheteur (et/ou travel manager). Mais est-il vraiment nécessaire d’aller jusque-là ?

Vente directe ou distribution ?

La distribution ancien modèle est pour moi révolue car elle n’apporte pas assez de services ou de proactivité. Elle représentait un coût pour les compagnies car elle utilisait un circuit de distribution bien plus onéreux que celui offert par les connexions directes (NDC et API).
Toutes les sources doivent maintenant être multicanaux afin de permettre un accès à la totalité du marché. L’enquête actuellement diligentée par la Commission Européenne concernant l’abus potentiel de position dominante de deux GDS n’est qu’une première approche initiée par l’institution qui porte également son regard sur les pratiques des compagnies aériennes toutes catégories confondues. Elle connait très bien ces dernières et a déjà eu l’occasion de traiter des sujets relatifs à la libre concurrence et a imposé des amendes sévères (près de 800 Millions d’euros) relatives au fret aérien.

Certes, les prestataires et les compagnies aériennes doivent avoir un canal de vente direct sans toutefois bloquer les canaux intermédiaires tels que les places de marché. Vendre en direct permet généralement l’affichage de la meilleure offre mais vendre via une plateforme externe permet de positionner son service dans un écosystème qui autorisera le voyageur à compléter la prestation par des services annexes essentiels à l’exécution d’un déplacement professionnel.

De fait, la distribution par une place de marché affichera très certainement un coût supérieur à l’offre directe (admettons qu’il n’y ait pas de remises de volume accordées par les prestataires aux opérateurs de place de marché). Si ce coût reste inférieur à 3% de votre budget voyage, il n’y a aucune raison de se passer de leurs services voir de négocier les coûts. Naviguer de sites en sites pour essayer de grapiller les quelques euros de différence ne vaut pas le coup, est chronophage et rendra le pilotage en central impossible. Par contre imposer un engagement de résultat sur la dépense globale sera un réel levier d’économies.

Il faut donc que les prestataires tout comme les acheteurs et les travel managers, comprennent l’intérêt des places de marché à valeur ajoutée (service, outils, largeur d’inventaire, réactivité…) et raisonnent en coût complet. Ils doivent négocier sur les engagements de niveau de service et imposer une obligation de résultat et non plus de moyens. C’est juste une question de maturité achat mais bonne nouvelle, elle est en train de monter en flèche grâce, justement, à l’utilisation de ces plateformes multiservices.
Yann Le Goff
Nilrem Consulting
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