Quand la géopolitique bouscule le transport aérien

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Les récentes décisions de l’Exécutif Américain font peser de très sérieuses inquiétudes quant à l’avenir du transport aérien mondial. La remise en place de l'embargo contre l'Iran et la mise en place de taxes sur l'acier et l'aluminium ont indirectement des effets sur l'industrie. S'accompagnant d'une hausse permanente du coût du carburants, ces décisions risquent de porter un coup très dur aux compagnies aériennes.

La première décision américaine a consisté à dénoncer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran et, par conséquent, à remettre en vigueur l’embargo dont ce pays était frappé jusqu’au traité de Vienne de 2015. Cela pose tout de suite quelques interrogations. Le principe de l’embargo consiste à empêcher toute société qui fait du commerce avec l’Iran d’exercer ses activités aux Etats-Unis, sous peine de très fortes amendes. C’est ainsi que Peugeot, par exemple, se retire à toute allure d’un pays dans lequel le constructeur français avait investi des sommes considérables et qui était devenu son deuxième marché à l’export. Mais alors que se passera-t-il avec les compagnies aériennes ?

La France sera peu touchée car la compagnie nationale avait déjà décidé de se retirer d’Iran pour des raisons purement économiques. Seulement d’autres transporteurs peuvent se trouver très impactés. C’est au premier chef le cas des compagnies du Golfe. Emirates, par exemple, opère 5 fréquences quotidiennes en Boeing 777 entre Dubaï et Téhéran. Or Emirates est un gros acteur sur le marché américain, avec non seulement 9 dessertes quotidiennes vers les principales villes américaines dont 5 fréquences par jour entre Dubaï et New-York JFK, mais c’est également l’un des plus gros clients de Boeing avec 151 B777 en exploitation et 162 en commande. On voit mal la compagnie Dubaiote se retirer d’Iran et on voit mal Boeing faire une croix sur ce qui est une des plus grosses commandes de son histoire.

D’un autre côté, Iran Air, par exemple, opère encore 4 MD 82 de fabrication américaine et a commandé 50 B 737 Max et 30 B 777. Boeing devra-t-il aussi passer cette commande par pertes et profits ? Et comment assurer la maintenance des appareils, des moteurs en particulier, alors que Rolls-Royce ou Safran - qui tous coopèrent avec les industriels américains - seraient dans l’incapacité d’assurer un service qui pourtant est essentiel pour la sécurité des passagers ?

En son temps, Napoléon avait décrété le « Blocus Continental » pour mettre l’Angleterre à genoux. On a vu ce qu’il en était advenu.

Il reste l’attitude générale du gouvernement américain quant aux échanges internationaux. La décision unilatérale de frapper de taxes à l’importation l’acier et l’aluminium européen aura forcément des répercussions sur le trafic aérien. Il serait surprenant en effet que les européens ne réagissent pas en frappant de leur côté des exportations américaines, ce qui peut naturellement entraîner une escalade de mesures protectionnistes. Quoi de plus facile alors que de jouer sur les attributions de droits de trafic ?

L’axe transatlantique constitue le principal marché du transport aérien international. Il y a par exemple 38 fréquences quotidiennes entre Londres Heathrow et New-York JFK. Toucher à l’équilibre qui a été forgé laborieusement au fil d’interminables et difficiles négociations entre l’Europe et les USA, ce serait mettre en péril tout l’équilibre de ce secteur d’activité qui ne peut prospérer qu’avec une croissance annuelle de 5%.

Il a fallu 70 ans pour créer un transport aérien fiable, et à la portée du plus grand nombre avec l’arrivée sur le marché des transporteurs « low cost », y compris sur le long-courrier. Cette formidable réussite est en même temps l’un des principaux facteurs de paix dont notre monde a tant besoin. Or cet équilibre est fragile et on voit bien qu’il peut être mis à mal par une décision unilatérale d’un seul homme, dont l’objectif est semble-t-il de montrer la force des USA, ce dont d’ailleurs personne n’a jamais douté.

L’époque faste des 3 dernières années est en passe de se terminer. Le pétrole retrouve ses niveaux d’avant 2014, et la libéralisation des accords aérien marque un très net ralentissement. Tout ceci ne présage rien de bon, hélas.

Jean-Louis BAROUX