La technologie a-t-elle tenu ses promesses ? (3/3) – « Nous avions l’habitude d’organiser tout et n’importe quoi par nécessité d’interagir »

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Lorsque l’on parle d’innovation technologique, un marché a particulièrement dû s’adapter à cette période de crise et de confinement : le MICE. Les acteurs événementiels ont dû repenser leur modèle et leur façon de faire pour continuer leur activité. La démocratisation de l’événementiel virtuel a ainsi permis aux entreprises et aux acteurs du secteur de maintenir le cap mais cela a-t-il été suffisant et satisfaisant ? Entretien croisé avec Phuong Ly Ngo Patron, Senior Event Marketing Manager chez Microsoft et Yohann Metayer-Claret, Président d’IDEAL Meetings and Events. 

DeplacementsPros.com : Cette crise a mis le marché du MICE à rude épreuve. La technologie et la virtualisation des événements faisaient-il partie de votre quotidien auparavant ?

Yohann Metayer-Claret : Si nous parlons des événements de façon générale, le MICE a évolué en fonction des avancées technologiques. Pour nous, chez IDEAL Meetings and Events, il n’y a pas grand-chose qui a évolué depuis le premier confinement car nous avons l’habitude des retranscriptions d’événements à travers le monde depuis le début des années 2000. L’usage de la technologie n’est pas nouveau, en revanche sa généralisation oui ! Puisqu’il n’y a plus de déplacements, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de miser sur l’innovation technologique pour garder un minimum d’activité. Dans le secteur de l’événementiel, nous y sommes déjà habitués et cela est même une brique essentielle de notre métier avant, pendant et après l’événement. En revanche, la nouveauté est que depuis le début de la crise nous devons nous passer de lieu physique et donc le virtualiser, le créer. Cela requiert des compétences que nous n’avions pas et de plus en plus d’acteurs se tournent vers le marché du cinéma et des médias pour des prestations techniques par exemple. Cette crise amène à la création de nouveaux postes et de nouvelles compétences.

Quels sont les problématiques, les questionnements que sont venues poser cette crise et la restriction inédite des déplacements professionnels ?

Yohann Metayer-Claret : Je pense que cela nous amène avant tout à nous poser une question essentielle : pourquoi nous déplaçons-nous ? Nous avions l’habitude d’organiser tout et n’importe quoi par nécessité d’interagir et notamment lorsqu’il s’agissait de « vendre » un produit. En France, spécifiquement, les déplacements sont faciles car le pays est peu étendu et que nous disposons de très bonnes connexions. Le rendez-vous physique était alors quasi obligatoire, la norme était de se déplacer pour 1 heure ou 2 heures de rendez-vous. Aujourd’hui, on se rend compte que finalement, on peut se permettre d’utiliser la technologie pour certains entretiens mais en revanche la technologie n’est, à mon sens, pas assez mature pour un brainstorming en équipe ou dès lors qu’il faut parler d’une refonte d’un projet. Cela nécessite du contact humain, de l’échange physique et le langage non verbal est extrêmement important. Lors d’un rendez-vous par visio, il n’y a pas cet aspect émotionnel que l’on peut avoir lors d’une rencontre physique et l’esprit d’une entreprise est également difficile à retranscrire à distance.

L’événementiel virtuel est-il complémentaire au format « physique » ou s’apprête-t-il, à terme, à remplacer l’événementiel physique ?

Yohann Metayer-Claret : Nous assistons aujourd’hui à une démocratisation de ces types d’usages et j’ai l’intime conviction que cela va s’installer sur du long terme, notamment pour le « small meeting ». Pour les petites rencontres cela va désormais être vivement recommandé au sein des entreprises mais pour ce qui concerne une célébration ou un partage d’émotions, l’événement à proprement dit aura lieu en présentiel car la culture d’entreprise doit vivre ! L’événementiel est là pour ça, nous voulons de l’intensité. Ce qui pourrait fonctionnait dans un futur proche est peut-être le développement d’un système de ROI émotionnel directement intégré aux outils digitaux, ce qui à ce jour, n’existe pas. La vraie question est : qu’est ce qu’on attend d’un événement ? La virtualisation va nous permettre de le faire perdurer dans le temps et auprès d’un public plus large, ce qui en fait un outil de communication puissant. Nous devons dès à présent appréhender trois types de formats : le physical (entre physique et digital), le digital et l’évènement physique.

Phuong Ly Ngo Patron : Chez Microsoft, ces 2 formats sont complémentaires et seront utilisés en fonction des objectifs de l’évènement. Nous avons beaucoup appris et très vite ces derniers mois pour réaliser des évènements digitaux impactants et engageants. Cela va continuer grâce aux nombreuses innovations technologiques et à la rapide montée en compétence des experts de l’événementiel. L’évènement physique reste clé pour permettre les rencontres, les échanges informels, vivre des expériences immersives lors des démonstrations, des moments communautaires, de communion, pour créer une émotion de groupe et cela même si des outils ont été développés et proposent une expérience de plus en plus riche. 

Quel est le « secret » pour un événement virtuel réussi ? 

Phuong Ly Ngo Patron : Il ne faut surtout pas transformer un évènement présentiel. Il faut repenser son évènement. On garde les objectifs, l’audience adressée mais on repense en se concentrant sur l’expérience digitale du participant. Les comportements « online » sont différents, l’attention et l’engagement également donc il faut repenser le format, les interactions, les animations, l’intervention des speakers, le lieu (site web), les moyens de production… Ce qui ne change pas est le pilotage, la gestion de projet, le temps nécessaire à la préparation et à la production de l’évènement sans oublier le budget. Même si le coût diminue, car on touche beaucoup plus de personnes, le coût de production reste significatif. En effet, cela nécessite d’autres besoins et corps de métiers : production vidéo (matériel et personnel), plateforme de diffusion, configuration et production technique et réseau…

S’apprête-t-on à vivre une période « d’engouement » pour ce type de solutions digitales ou les entreprises ne sont pas encore prêtes pour cette transition ?

Yohann Metayer-Claret : Nous vivons actuellement une période faite d’incertitudes où il est utile de penser à tout, l’essentiel est de continuer de vendre et de penser à toutes les possibilités pour y parvenir. Demain, les entreprises seront plus sélectives sur leur plan de communication/marketing global et feront moins de choses, mais mieux. A ce stade nous sommes encore en mode « stand and learn », et nous n’avons pas encore codifié tous les changements à venir. Les meilleures solutions restent encore à trouver. La difficulté d’animer un événement hybride est qu’il faut pouvoir animer des temps forts, prévoir des pauses, des rencontres … et tout cela n’est pas simple car nous avons peur de perdre des auditeurs. De nouveaux métiers sont à créer. Ce qui est certain, est que cette crise a permis d’accélérer la digitalisation au sein des entreprises, tout secteur confondu et chez nous, nous a poussé à mettre en ligne notre marketplace plus rapidement que prévu pour s’adapter à la demande et au contexte.

Phuong Ly Ngo Patron : Je pense que grâce à la technologie et l’énorme investissement fait pour innover vite, nous sommes en capacité de proposer des expériences évènementielles digitales plus impactantes et plus « professionnelles ». En revanche, cela se fait surtout grâce à des équipes qui ont fait preuve d’agilité, de créativité, qui ont su se « disrupter » et se challenger. Pour les acteurs du secteur il est nécessaire aujourd’hui de se former, se faire accompagner et il faut s’appuyer sur des experts tels que les agences évènementielles et les prestataires de production vidéo. 

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