Agnès Viottolo, avocate associée du cabinet Teitgen & Viottolo, nous a accordé une série d’entretiens sur le droit et la mobilité. Troisième d’une série de six, cette interview porte sur l’obligation, chaque année, de mettre sur la table des négociations employeur/employés le sujet de la mobilité. Et du recours possible au forfait mobilité…
Les salariés pensent fort légitimement aux salaires, mais la mobilité aussi doit donner lieu à des négociations annuelles obligatoires…
Agnès Viottolo : Oui, effectivement dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO), on doit aborder les problématiques “Egalité femmes/hommes et QVCT (qualité de vie et conditions de travail). A ce titre, plusieurs sujets doivent être mis sur la table. Selon l’article L2242-17 du Code du Travail, il y en a huit : l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations… Et le huitième sujet, celui qui nous intéresse, concerne la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail. C’est une obligation pour les entreprises d’au moins 50 salariés disposant d’un délégué syndical, ce qui n’empêche pas des entreprises ne remplissant pas ces conditions de s’y soumettre aussi.
Quel est l’objectif de ces négociations “mobilité” ?
C’est très clairement une incitation à promouvoir l’utilisation de moyens de transport durables. Concrètement : à encourager une substitution de la voiture thermique individuelle par de la mobilité douce. Ce dispositif s’inscrit dans le cadre de la LOM (Loi d’orientation des mobilités) du 14 décembre 2019. Soit à l’issue des négociations à ce sujet, un accord collectif est conclu, soit l’employeur est tenu de mettre en place un plan de mobilité par site (quand l’entreprise en a plusieurs). Les solutions à trouver sont laissées à la créativité de l’employeur et des employés. Mais il existe un instrument facultatif mais très incitatif qu’on appelle le forfait mobilité.
En quoi consiste ce forfait mobilité ?
L’employeur paye au salarié - soit mensuellement, soit annuellement - un forfait plafonné à 500€ par an (auparavant de 700€, il baisse de 200€ cette année), qui ne sera pas assujetti à cotisations sociales, ni à l’impôt - c’est le caractère incitatif du dispositif - qui sera destiné au financement du déplacement durable du salarié entre son domicile et son lieu de travail : trottinette, vélo, auto-partage, scooter électrique… Pour pouvoir en bénéficier, le salarié doit fournir un justificatif (un abonnement à l’accès à des vélos en libre-service ou l’achat d’une trottinette électrique, par exemple) ou, à défaut, une attestation sur l’honneur.
Dans votre énumération des transports durables, on remarque l’absence des transports collectifs…
Parce que la prise en charge des transports collectifs découle d’une obligation, indépendante de ce dispositif (qui, lui, je le rappelle, est facultatif) qui impose à l’employeur de prendre en charge 50% du coûts des transports collectifs pour les salariés qui les empruntent, aussi bien en Île-de-France qu’en province. Mais il faut noter que le forfait mobilité et la prise en charge des transports collectifs (mais aussi les frais de carburant et les frais de recharge de véhicules électriques ou hybrides) peuvent se cumuler et le plafonnement est, dans ce cas, de 800€.
Parce qu’il est toujours délectable de prendre en défaut les experts, trois questions pièges… La première : le forfait mobilité peut-il prendre compenser les 50% restant à charge des salariés pour les transports collectifs ?
Non. Ça n'aurait pas été absurde mais le législateur en a décidé autrement.
La deuxième : dans cette dissociation de l’obligation de la prise en charge partielle des transports collectifs et du forfait mobilité et, même, de la cohabitation des deux, quelle logique la loi suit-elle ? On ne peut, après tout, pas prendre deux modes de transport en même temps…
La logique, c’est d’encourager à l'abandon, autant que faire se peut, de la voiture… Et ça peut passer par deux types de transports, pas concomitamment, évidemment. Le forfait participe à mon utilisation du vélo quand il fait beau, et quand il pleut, je prends le bus ou le métro, par exemple.
La troisième : j’achète un vélo 1500€. La présentation de ma facture à mon employeur justifiera-t-elle le bénéfice d’un forfait mobilité de 500€ durant 3 ans ?
Oui, à condition que le dispositif soit reconduit chaque année dans l’entreprise ou qu’il soit d’emblée mis en place pour X année. Les années suivantes, je devrai fournir une attestation sur l’honneur indiquant que j’utilise mon vélo.
Les autres articles de la série "La mobilité face au droit" (MFD) :
> MFD (1/6) : Contrôler le travail effectif des salariés en déplacement, ça va changer radicalement