T. Dessain-Gelinet (Travel Planet) : “C’est un raccourci facile de taper sur la SNCF” 

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Travel Planet : “C’est un raccourci facile de taper sur la SNCF” 

Alors qu’un chœur d’acteurs importants de la distribution critique le nouveau système de réservation de la SNCF, la voix de Tristan Dessain-Gelinet, dirigeant de Travel Planet, est dissonante. En d’autres termes : il met les pieds dans le plat et ça éclabousse.

On vous connaît comme dirigeant de la TMC Travel Planet, mais c’est en tant qu’éditeur que vous vous exprimez sur le nouveau système de réservation de la SNCF. Expliquez-nous…

Tristan Dessain-Gelinet : Effectivement, Travel Planet a fait sa croissance en tant que TMC. Mais dans le cadre de cette activité, on a travaillé à partir de 2016 au développement d’une plateforme technologique conçue pour être utilisée par d’autres, pas uniquement Travel Planet. C’est le cas aujourd’hui mais en dehors de la France. Ensuite, au gré des événements et des sollicitations, la plateforme est devenue efficiente pour la distribution BtoB et BtoC de transporteurs ou de prestataires de voyages. De là, au sein de Travel Planet, on a scindé notre activité entre TMC et édition. 

Et en tant qu’éditeur, vous avez suivi de près la migration de l’inventaire SNCF de Resarail à PAO, le nouveau système de réservation…

Oui, car nous sommes prestataires technologiques pour la SNCF : depuis janvier 2022, nous fournissons son contenu à 30.000 agences à l’échelle européenne, sur 35 pays. C’est un canal de distribution BtoB (pour les agences) parallèle à celui des GDS : nous allons chercher le contenu SNCF, l’exposons, gérons la réservation et l’après-vente, aussi bien pour des individuels que des groupes. Ayant un rôle de distributeur technologique du contenu SNCF, on a effectivement suivi de très près la préparation à la migration du contenu (puisqu’il ne concerne évidemment pas que les agences françaises). 

Nous y sommes. Vous avez sollicité DeplacementsPros suite à une série de déclarations d’acteurs de la distribution, pointant du doigt les insuffisances du nouveau système de réservation SNCF. Vous trouvez ça injuste et, pour tout dire, erroné… 

Oui, c’est un raccourci facile de taper sur la SNCF. Je précise certaines choses pour bien me faire comprendre… PAO est le point d’entrée qui donne accès à une série d’inventaires : de billets et d’horaires. L'ensemble des technologies qui distribuent la SNCF sont connectées à PAO (y compris SNCF Connect). Donc tout le monde a le même accès, le même contenu et la même capacité à mettre en place des fonctionnalités. Parmi ces inventaires, il y a par exemple Nomad (pour le TER à réservation normand), Eurostar, ou encore - et surtout - S3, celui des TGV et des Intercités, qui était encore sur Resarail ces dernières semaines. PAO a été lancé en 2017, c’est un outil technologique très bien conçu et qui, depuis lors, remplit bien et simplement sa fonction d’accès à des inventaires - Travel Planet y a interfacé une quarantaine d’opérateurs ferroviaires européens. Si, pour BCD Travel, Amex GBT ou Havas Voyages, ça ne fonctionne pas, ou que ça fonctionne mal, il n’y a que deux explications possibles : soit l'outil que propose le transporteur est inabouti, soit l’intermédiaire technologique utilisé pour accéder à ce contenu n’a pas développé l’ensemble des fonctionnalités.

Et on comprend bien que vous optez pour la deuxième explication. Pour quelle raison ?

Ma réponse va être simple et - mieux - factuelle. Si Grégory Baumann de Havas Voyages dit - comme j’ai pu le lire - “il n’est pas normal que SNCF Connect ait plus de fonctionnalités que nous” ou que Yorick Charveriat (DG France d'Amex GBT, ndr) reconnaît que ça marche dans Neo (l’outil d’Egencia, propriété d’Amex GBT, ndr), bref : si certains outils ont toutes les fonctionnalités, ça signifie bien que PAO est capable de les proposer. S’il s’avère que, dans l’interface des équipes de production, ils n’ont pas ces fonctionnalités et - comme j’ai encore pu le lire - on ne peut pas faire du multipax ou faire voyager deux personnes ensemble, c’est bien que le problème ne vient pas de PAO puisque d’autres interfaces, y compris des leurs, online, savent le faire. Une fois qu'on a dit ça, on peut se demander si la SNCF aurait dû laisser plus de temps aux distributeurs, aux fournisseurs de technologie offline. Mais c’est un autre sujet !

Alors concentrons-nous sur cet autre sujet : la SNCF a-t-elle laissé assez de temps à ses partenaires de la distribution et leurs partenaires ?

PAO, je l’ai dit, a été lancé il y a 6 ans. Le projet S3, qu’on appelait Boost, a été lancé il y a 36 mois, ça ne tombe pas du ciel au milieu de l’été 2023… Alors pas assez de temps, je ne sais pas, chacun jugera. Il arrive un moment où des choix sont à faire.

Mais ce n’est manifestement pas aussi facile que vous le prétendez. Dès lors, on peut se poser la question de l’opportunité de changer de système de réservation…

L’ancien système, Resarail, a été mis en place en 1993… C’est de la tech, et il n’est pas aberrant de considérer qu’au bout de 30 ans, elle souffre d’obsolescence, qu’il faille la moderniser ! Mon opinion personnelle est qu’en changer était indispensable.

Parmi les TMC qui se sont exprimées sur le sujet - et que vous avez citées - on compte BCD, Amex GBT, Havas : pas vraiment des agences de quartier. Comment expliquez-vous que, selon votre thèse, elles ne s’entourent pas des bons partenaires technologiques ?

C’est une vraie question. Et la réponse qui me semble la plus crédible est d’ordre historique : l’habitude de travailler avec les GDS… Pendant des décennies, la SNCF ne pouvait être distribuée que dans les GDS. Et quand ça ne marchait, le distributeur se retournait vers le couple SNCF/GDS pour leur dire “débrouillez-vous entre vous, ça ne marche pas, c’est à vous de le faire”. Cette mécanique intellectuelle n'est plus valable. D’ailleurs, comme un signe de cet historique, dans DeplacementsPros, Yorick Charveriat parle de “PNR”... Mais “PNR”, c’est un concept GDS ! Que la nouvelle logique de la SNCF s’accorde mal avec la logique ancienne des GDS, ça, je peux l’entendre, mais on est passé d’une logique Resarail/GDS à S3, une tech plus moderne, et il faut s'y adapter. 

C'est le rôle des GDS que vous pointez là…

Non, c’est un amalgame SNCF/GDS qui est aujourd'hui caduque que je pointe, pas les GDS en tant que tels. D’ailleurs, d’après ce que j’en sais, il n’y a pas de problèmes “SNCF” du côté de Sabre. Je répète : le transporteur propose un kit de fonctionnalités qui est opérationnel dans certains canaux, si ce n’est pas le cas dans d’autres canaux, eh bien… ça peut être l’occasion de changer de fournisseur technologique. Je note que Havas vient d’annoncer qu’ils faisaient un choix autre que les GDS en travaillant avec Trainline, c’est bien qu’il existe différents fournisseurs de technologie sur ce sujet, et c’est à la charge de ceux-ci de rendre disponible la totalité ou l’essentiel des fonctionnalités proposées par le transporteur. Havas a choisi Trainline, ç’aurait pu être Resaneo, Travel Planet ou d’autres. C'est ce qu'on a connu dans l'aérien, il y a quelques années, avec l’apparition de nouveaux acteurs tels que Fairlogix ou Duffel. Ce n’est pas faire offense aux GDS. D’ailleurs, le président France d’Amadeus a déclaré dans vos colonnes que ce n'était plus le rôle d’Amadeus de développer tout eux-mêmes… Donc on est bien dans une évolution dans la chaîne de valeurs.

Votre parti-pris en faveur de ce nouvel outil de réservation peut manquer d’impartialité : la SNCF est votre client…

Ça peut être pris comme ça, oui, mais il y a des éléments objectifs. Que le nouveau système doive s’aguerrir, qu’il soit améliorable, bien sûr, mais il y a indubitablement des éléments qui représentent un vrai progrès. Il ne faudrait pas oublier trop rapidement les limitations de l’ancien système ! 

Je vous donne deux exemples. Le premier me tient particulièrement à cœur : la capacité de gérer des personnes en situation de handicap. Dans Resarail, c'était un process extrêmement lourd : de la demande manuelle, un délai d’anticipation, un appel à la gare… Aujourd'hui, on est capable de réserver pour des personnes en fauteuil roulant, en siège pliant avec un accompagnateur, aussi simplement que pour une personne valide. Ça, ça n'existait pas dans l’ancien système, et pour moi, cette seule fonctionnalité change fondamentalement les choses. 

Deuxième exemple : les groupes. Dans l’ancien système, les groupes étaient limités à 36 et au-delà, c’était manuel. Aujourd'hui, l’inventaire sait gérer 99 passagers en une seule requête. Et en plus, le système place automatiquement les passagers dans plusieurs voitures si nécessaire. Imaginez-vous que lorsqu’un pareil cas se présentait avec Resarail, il fallait faire une demande par mail ! Et enfin : on peut réduire le nombre de personnes d’un groupe avant émission sans pénalité. Donc ce nouveau système automatise et, par là même, élimine tout un tas de process, très lourds, manuels, coûteux en temps et en ressources, y compris pour l’agence.

Comment voyez-vous la situation évoluer ? On a une échéance proche avec la mise à disposition, pour les agences, de OUIGO…

Effectivement, début décembre, PAO livre les évolutions OUIGO pour les GDS, et la nouvelle grille de commissions va être mise en place en janvier 2024. Sauf qu’à ce moment-là, je prends le pari que les GDS n’auront pas du tout intégré OUIGO. Les agences vont dire “On n’a pas accès à OUIGO !” et la SNCF va dire “Si, vous pouvez y accéder, voyez avec vos intermédiaires”... Et on va se retrouver dans le même schéma. Voilà pour le très court terme. A moyen et long terme, il y a des choix qui devront être faits par la SNCF et les agences. La distribution ferroviaire va être profondément et rapidement réorganisée. Est-ce que les GDS historiques, tels qu’ils existent aujourd’hui, c’est-à-dire un outil qui centralise l’ensemble des transports ferroviaires et aériens, ont un modèle économique pour le faire, je n’en suis pas sûr. Selon moi, il y a clairement besoin d’un outil technologique adapté au rail, la preuve : tout le monde se plaint.