Les biocarburants participent-il à la hausse des prix dans l’aérien ?

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Imposée par la législation française depuis janvier 2022, les compagnies aériennes doivent dès cette année utiliser à minima 1% de SAF (sustainable aviation fuel). L’objectif est porté à 2% d’ici 2025 et 5% en 2030. Une étape indispensable pour décarboner l’aérien, mais qui aura un coût pour les transporteurs et les voyageurs. La transition énergétique du secteur ne sera pas gratuite…

Toutes les compagnies aériennes, ou presque, ont (enfin) pris à bras le corps la problématique de leur empreinte carbone en se fixant des objectifs ambitieux. En parallèle, plusieurs pays, dont la France, et l’Union Européenne imposent des réglementations pour obliger les transporteurs à se décarboner. D’ici à 2050, l’industrie devrait donc approcher le net zéro carbone si tous les objectifs sont atteints. Pour y parvenir, plusieurs leviers peuvent être actionnés et celui qui permettra de les atteindre est l’utilisation de carburant d’aviation durable (SAF), dont IATA préconise 65% d’utilisation d’ici 2050. Mais ces objectifs sont-ils réalisables ? Le premier problème est, qu’à ce jour, les ressources sont limitées. « La réalité est qu’aujourd’hui, le SAF représente 0,50% des carburants utilisés à l’échelle mondiale. En 2030, nous serons à 4% tout au plus si nous continuons comme ça. Les objectifs fixés sont au mieux très ambitieux, au pire irréalistes. Le problème de fond est que nous n’avons pas les ressources », explique David Frangeul, Senior Director, Air & Ground Practices chez Advito. Et l’aérien ne sera pas la seule industrie à être demandeuse de ce type de carburant…

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Un avis partagé par la FNAM qui appelle à la création d’une filière SAF en France pour répondre aux besoins de l’industrie : « Pour atteindre les objectifs fixés par l’Etat il va nous falloir du SAF en grande quantité, donc à partir de là, un véritable effort est obligatoire. Pourquoi en France ? Ce serait dommage de dépendre d’autres pays. Il faut pouvoir sortir de cette dépendance énergétique, surtout avec ce qu’il se passe en ce moment. Ces objectifs demandent des investissements et aujourd’hui, c’est un fait, nous sommes en retard », déclare Laurent Timsit, son Délégué Général. 

Des prix 3 à 6 fois plus élevés à l’achat que le kérosène

La création d’une filière SAF viendrait répondre aux besoins des compagnies aériennes en matière d’approvisionnement et limiter les coûts. Car c’est un fait, le SAF coûtera entre 3 et 8 fois plus cher que le kérosène : « Cela va représenter, à terme, environ 30% des coûts d’exploitation des compagnies aériennes », estime le Délégué Général de la FNAM. Cette augmentation se répercutera automatiquement sur le prix du billet, si aucune aide n’est allouée par le gouvernement : « Le risque est de faire de l’avion un mode de transport réservé à l’élite et de renforcer la concurrence sur certaines routes. Si on impose une réglementation pour les compagnies de l’Union Européenne et aux autres non, il va y avoir un effet de transfert de trafic et d’emplois hors UE. Cela risque de tuer les compagnies et ça ne résoudra en rien le problème des émissions carbones. Il ne faut pas tomber dans cette naïveté en assurant que nous allons être plus vertueux que les autres. Il faut que la réglementation soit la même au niveau mondial pour que cela reste équitable », argumente Laurent Timsit.

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Un avis que partage plusieurs compagnies aériennes européennes mais pas David Frangeul : « L’argument de l’augmentation des coûts et de la concurrence est à ce jour non recevable ». Selon lui, l’augmentation des coûts n’est pas directement liée à l’investissement SAF : « Dans le meilleur des cas, ces carburants vont représenter 4% de ceux utilisés dans l’aérien d’ici 2030. C’est encore très limité et pas assez pour justifier la hausse des prix ». La concurrence ? Elle existe déjà, notamment avec les compagnies du golfe qui proposent des prix compétitifs : « Il y a plusieurs éléments qui l’expliquent, dont la facilité d’accès au kérosène ». Selon David Frangeul, il est possible que le déploiement du SAF accentue le différentiel de prix mais : « Nous n’en sommes pas là et ça ne va pas changer l’ordre des choses à court et moyen terme dans le choix du voyageur ». En revanche, le principal atout dont dispose une compagnie comme Air France reste les nombreux vols directs : « Pour l’entreprise cliente, le vol direct est très prisé pour des questions de praticité et de bien-être du voyageur. Nous le recommandons au maximum de notre côté et, là-dessus, les compagnies du golfe ne valent pas les compagnies européennes ».

L’adoption des biocarburants difficilement quantifiable 

De son côté, la FNAM demande à ce que les politiques publiques soient les mêmes que le ferroviaire : « Si on se projette dans un avenir relativement lointain et que l’industrie aérienne devient zéro carbone, on ne peut plus parler d’industrie polluante mais d’une industrie qui permet aux personnes de se déplacer ». Pour David Frangeul, de nombreuses entreprises, notamment les grands groupes, sont prêtes à valoriser les compagnies vertueuses et donc à accepter de payer une surcharge SAF. Ce qui est certain est que l’augmentation des prix peut, à ce jour, être difficilement imputable au surcoût généré par l’obligation de carburant durable. Qui plus est, il n’existe pas d’outil de mesures prévu à cet effet et les compagnies aériennes sont peu communicantes sur leur utilisation réelle, malgré les investissements annoncés et des appareils adaptés. Un véritable défi pour l’industrie du transport aérien mondial actuellement responsable de 2,6% des émissions de CO2 mais qui pourrait atteindre les 20% si la hausse du nombre de voyageurs se poursuit. 

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