Air France envoie Ben Smith au combat

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Voilà, c'est fait, le psychodrame né de la démission de Jean-Marc Janaillac a pris fin chez Air France. Et pourtant, l'incertitude s'installe même si on peut s'étonner des critiques formulées avant même sa nomination… Ben Smith, on l'aura compris, ne fait pas l'unanimité au sein des salariés d'Air France. Le plus difficile commence pour lui.

En apportant son soutien au nouveau Directeur général, Bruno Le Maire démontre que le rôle de l'État est loin d'être négligeable dans cette affaire. Une position qui va renforcer les syndicats dans l'idée que leur réussite dans le bras de fer engagé viendra, sans doute, de l'Élysée. Et en ayant le soutien du gouvernement, Ben Smith ne vient sans doute pas les mains vides, c'est du moins ce que l'on peut penser puisque d'évidence, si ce n'est pas le cas, les fuites sur le triplement du salaire du DG constitue une bombinette pour le moins difficile à désamorcer.

Le nouveau Directeur Général est un vrai pro de l'aérien, c'est indéniable. Mais un bon second fait-il toujours un bon premier ? Sera-t-il capable de gérer un groupe international ? Pour tout dire et sans vouloir insulter l'avenir, nos confrères canadiens s'interrogent et se demandent si le fait d'avoir négocié avec des salariés déterminés d'Air Canada est aussi complexe que les échanges qui l'attendent au niveau des syndicats d'AF/KLM. Seul le temps nous dira si le choix était bon.

Au-delà, l'État sait que cette possible concession à un nord-américain satisfera Delta Air Lines qui veut que le groupe soit plus agressif et mieux organisé sur les routes "vaches à lait" entre l'Europe et les USA. Cette concession agite au sein de la compagnie qui y voie un renforcement du transporteur américain dans la gouvernance du groupe franco néerlandais. Mais les enjeux dépassent le cadre opérationnel auquel est habitué le Canadien. Il y a de la stratégie et désormais de la géopolitique dans la gouvernance d'Air France. Quand Philippe Evain, le patron décrié du SNPL, déclare que la venue d'un nord-américain est un choix dangereux… Il n'a pas tout à fait tort. Habitués aux promotions au sein du sérail, bien des directeurs actuels vont se sentir en danger.

"Changer tout" est sans doute le mot d'ordre qui a piloté la décision du conseil des nominations et du CA de la compagnie. Mais chez Air France, l'expression n'a pas la même valeur. Il faudra du temps et de la diplomatie pour faire bouger les habitudes. Or du temps, Air France n'en a pas. On sait aujourd'hui que la confiance des acheteurs ne reviendra qu'une fois la paix sociale garantie. Les travel managers eux aussi s'interrogent sur les choix que feront les salariés et l'intersyndicale, qui se sont montrés menaçant autant sur le choix du patron que pour la rentrée et de possibles grèves. Croire que tout est réglé serait une grave erreur que, malheureusement, les politiques feront sans se soucier du lendemain.

Bon courage, Monsieur le Directeur Général... Il vous en faudra, et beaucoup. Dites-vous qu'en cas de réussite,vous serez un dieu vivant au royaume du ciel français. En cas d'échec, bon nombre de vos ennemis (plus nombreux en interne qu'en externe) vous donneront les horaires du Paris/Toronto. Certains même vous accompagneront à l'aéroport. On le sait, les Français ne sont pas les rois de l'accueil.

Marcel Lévy