Les avis du médiateur de la SNCF sous le regard de Pat

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Bernard Cieutat, le Médiateur de SNCF, vient de remettre son rapport 2013. Lecture commentée de quelques passages sélectionnés dans ce document de 45 pages par notre chroniqueur ferroviaire (*).

Le Médiateur souligne qu’une saisine sur deux qui lui est adressée le conduit à donner totalement ou partiellement raison au requérant. Les usagers, clients, consommateurs doivent-ils s’en satisfaire ? Peut-être pas tant que ça, car cela signifie aussi que le Service Relations Clients - obligatoirement saisi en première intention - n’a pas su faire spontanément une réponse satisfaisante et adaptée dans une situation pourtant parfaitement entendue par le Médiateur. Et quand on sait que dans la pratique, avant de saisir le Médiateur, le réclamant réécrit souvent une seconde fois au Service Relations Clients et que cette contestation d’une première réponse est dans les procédures internes SNCF examinée par un encadrant, il y a peut-être de quoi s’inquiéter et pour l’entreprise travailler davantage sur ses processus d’analyse des réclamations.

Le rapport révèle que le Médiateur a reçu 60 saisines commerciales relatives à Ouigo en 2013. Si ce nombre n’a rien d’alarmant au regard du nombre de billets déjà vendus en 2013 (au moins un million et demi), plus surprenant est la proportion de suites négatives cette fois de la part du Médiateur (74 %). De la part de ce dernier, confirmer la position prise par le Service Clients Ouigo, signifie confirmer des refus. Car, par définition, nul ne saisit le Médiateur s’il a déjà obtenu satisfaction ! Un renversement des tendances qui est à rapprocher des conditions particulières et drastiques de ce train à bas-coût, aux prestations limitées au strict service de base. Nos lecteurs avaient déjà été utilement mis en garde

Des cas de force majeure

Dans un premier exemple de dossier traité, le Médiateur nous conte la mésaventure d’un voyageur dont le train fut supprimé pour cause de grève. Ce voyageur s’est vu refuser par le Médiateur la prise en charge de ses frais pour réorganiser par la route son déplacement, mais il obtient néanmoins de ce dernier le remboursement du billet non utilisé. C’est heureux ! Reste à se demander pourquoi ce client a eu besoin de saisir le Médiateur pour se faire rembourser son billet ? Une opération banale et ô combien légitime quand le train est supprimé, dont on pourrait s’attendre qu’elle puisse être réalisée à première demande à un point de vente.

Autre mésaventure qui, contre toute attente, a encore nécessité l’intervention du Médiateur, celle de ces clients du service auto-train. Leur véhicule leur fut restitué pare-brise fêlé et capot endommagé. A lire le Médiateur, il semblerait que le Service Relations Clients ait cru pouvoir invoquer un cas de force majeure. Lequel ? Le rapport ne le dit pas. Mais enfin, la force majeure ne saurait relever que d’une circonstance exceptionnelle, imprévisible, insurmontable et externe ! Or il est probable que ce type d’incident fut la conséquence de la projection d’un caillou du ballast lors du croisement de deux trains. Difficile d’admettre que le Service Relations Client ait pu y voir là un cas de force majeure. A moins que l’intervention malveillante d’un tiers ait été imaginée ? Sans aucune preuve, comme nous le dit le Médiateur ! Et quand bien même, puisque le véhicule est sous la garde et la surveillance du transporteur pendant l’exécution du contrat ! Il est donc finalement assez désolant que seul le Médiateur soit en capacité de reconnaitre le tort causé aux propriétaires du véhicule confié au transport. Une attitude pingre et grincheuse pas du tout valorisante en termes d’image du service.

Avec ou sans abonnement ?

Un voyageur oublie son abonnement et se trouvant en conséquence sans billet à bord du train et faute d’avoir régularisé immédiatement sa situation dans les mains du contrôleur, se voit dresser un avis d’infraction d’un montant de 65 € (indemnité forfaitaire = 35 € + frais de dossier = 30 €). Après examen de la contestation, le Centre de Recouvrement réduit à 25 €. Le Médiateur quant-à lui préconise purement et simplement l’annulation de l’avis d’infraction car le voyageur était abonné. Mesure sympathique, reconnaissante de la bonne foi du voyageur et de son droit à l’erreur quand il oublie son abonnement. Mais de quoi faire s’étouffer les contrôleurs et accessoirement le service chargé du recouvrement ! Mais tout bien réfléchi, ne vaudrait-il pas mieux généraliser en amont cette bonne pratique du Médiateur et permettre aux voyageurs d’obtenir le classement d’un avis d’infraction sur justification de leur situation ? Tout le monde y gagnerait.

Un voyageur muni d’un abonnement Ile de France zones 1 et 2 est verbalisé en zone 4 pour allongement de parcours prohibé. Après enquête, le Médiateur conclut à l’annulation du procès-verbal en raison du dézonage les samedis et dimanches de cet abonnement de la gamme Navigo. On ne peut que s’interroger longuement sur le fait qu’un contrôleur Ile de France ait verbalisé sans sourciller si le titre de transport présenté était le jour dit valable pour le parcours réalisé. Et également que, même s’il minore l’infraction, le Centre de recouvrement en maintienne le principe. Etre verbalisé n’est jamais chose agréable pour quiconque. Si en plus c’est à tort, il y a de quoi enrager.

Le rapport se termine par quelques recommandations du Médiateur et les réponses données par SNCF à ses préconisations de l’année passée.

Faire constater des défauts de fonctionnement

En 2012, le Médiateur avait ainsi relevé que lorsqu’un client réclame un dédommagement du fait d’un aléa lors de son voyage (défaut de confort à bord, gênes diverses…), il lui est souvent opposé un refus au motif que son billet n’est pas annoté par le contrôleur. Or, cette nécessité de faire annoter son billet pour certifier de l’anomalie ne figure dans aucun texte réglementaire et n’est pas portée à la connaissance du client, soulignait le Médiateur. La réponse de SNCF publiée dans le rapport 2013 vaut son pesant de cacahuètes. La « Convention client » a été modifiée et la phrase suivante y a été ajoutée : « En cas d’aléa durant votre voyage, vous pouvez faire annoter votre billet par le chef de bord ».
La belle affaire ! La « Convention client » n’est pas un texte réglementaire à valeur légale. Et dans un train, ce n’est sans doute pas la lecture favorite des voyageurs ! Quant-aux Conditions Générales qui, elles, sont homologuées par les pouvoirs publics et sont donc seules à avoir force de loi que nul n’est censé ignorer, elles ne prévoient toujours pas d’obligation de faire constater un quelconque aléa ou dysfonctionnement au contrôleur pour espérer en obtenir indemnisation ou compensation.

Des voyageurs qui se retrouvent sur un siège cassé, pour lesquels la prise de courant promise avec leur réservation 1ère classe en TGV ne fonctionne pas, confrontés à l’impossibilité d’utiliser les toilettes, suant ou se gelant dans un train dont la climatisation ne fonctionne pas bien, se retrouvant sur une place déjà occupée car réservée et vendue deux fois (liste non exhaustive), ce sont des choses qui arrivent. Et il n’y a pas toujours un contrôleur disponible pour le lui faire constater. Voir encore si ce dernier ne se contente pas de répliquer : « écrivez ! ». Et plus il y a de problèmes à bord d’un train, moins le contrôleur – souvent seul – sera disponible pour venir griffonner quelque chose sur le billet de chacun. En fait, par cette obligation tatillonne, on a vraiment l’impression que SNCF entend faire apporter au voyageur la preuve formelle du dysfonctionnement plutôt que de mener elle-même les investigations et vérifications nécessaires à réception du signalement du client par le biais d’une réclamation.

Et pourtant, tous ces petits et gros problèmes sont la plupart du temps dûment répertoriés dans les bases de données opérationnelles de SNCF. Lorsqu’un train est mis à quai, par ses processus de contrôle interne, SNCF sait que tel siège est cassé, que la climatisation ne fonctionne pas là, que la prise de courant est en panne ici, que ces toilettes là sont condamnées… Dommage que le Médiateur n’ait pas été un peu plus critique sur la réponse qui a été faite à sa sage observation.

Quelle marge de manoeuvre pour le personnel SNCF ?

Au gré des pages de son rapport, le Médiateur cite aussi quelques remerciements qu’il a reçus à la suite de ses décisions. Le cas du remboursement d’un billet Prem’s mérite de s’y arrêter. Par une décision empathique dans une situation particulière, le Médiateur rembourse un tel billet non échangeable et non remboursable puisque censé, en échange de son prix attractif, correspondre à une commande ferme et définitive. Les petites mains qui répondent aux sollicitations quotidiennes hors conditions générales de vente ne peuvent donc opposer que des refus (par lettre type la plus économique possible), sauf – c’est le cas de le dire – à se faire taper sur les doigts ! Et pourtant, ces Chargé(e)s de relations avec la clientèle de premier niveau aimeraient parfois désobéir. Souvent, ils et elles ne sont d’ailleurs jamais aussi bons qu’en désobéissant. Mais n’est pas Médiateur qui veut. La Direction de SNCF devrait donc peut-être davantage s’interroger sur les marges de manœuvre qu’elle laisse à son personnel en charge de la relation client et de l’après-vente. A situation particulière, solution particulière, non ?

Et comment ne pas se désoler quand c’est le Médiateur qui se voit reconnaitre le premier la qualité de faire une « réponse enfin argumentée et une explication » (sic). Ce que tout un chacun attendrait également du Service Relations Clients si celui-ci ne se contentait pas, de plus en plus souvent, de lettres types passe-partout argumentant peu et expliquant encore moins. Oh, dans le transport, SNCF n’est pas la seule à pouvoir subir ce genre de critique ! On en a déjà parlé ici.
Ce nouveau rapport du Médiateur de SNCF constitue une photographie de ce que peut être la vraie vie du voyageur dans ses relations avec l’entreprise SNCF. Ce n’est pas toujours un fleuve tranquille. On mesure souvent la qualité de la relation client d’une entreprise au degré de difficultés que le client réclamant a eu pour se faire entendre. Devoir arriver jusqu’à la Médiation pour des situations somme toute simples qui aurait dû être réglées bien en amont n’est donc guère satisfaisant.

Demain, SNCF sera dit-on soumise à concurrence. Les nouveaux opérateurs ne réinventeront pas l’eau chaude mais que SNCF prenne quand même garde. Car le plus simple pour ces derniers sera de faire bien ou mieux ce qu’elle fait mal.

Pat.

(*) Patrick LE ROLLAND, chroniqueur ferroviaire qui nous propose régulièrement son « Coup de Pat » est aussi l’auteur de « 130 lettres caustiques et cocasses à la SNCF » (avril 2013, éditions La Vie du Rail).]b