Vers la fin des alliances ?

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L’information est parue dans la Tribune du 14 novembre sous la plume toujours avisée de Fabrice Glyszczynsky. Le bouillant Akbar Al Baker, président et CEO de Qatar Airways et président en fonction de IATA pour cet exercice, a annoncé son intention de quitter l’alliance Oneworld dont sa compagnie fait partie depuis des années. Je cite ses propos : "Je ne vois aucun intérêt à continuer de faire partie de OneWorld quand d’autres partenaires nous considèrent comme une menace". Il faisait bien évidemment allusion à l’offensive qu’American Airlines, menée par Doug Parker, a lancée pour freiner les ambitions de desserte des États-Unis par les transporteurs du Golfe.

Dans la même semaine, China Southern, membre de l’alliance concurrente Skyteam a annoncé qu’elle la quittera au 1er janvier 2019. Cette décision n’est peut-être pas étrangère à la prise de participation d’American Airlines dans la compagnie chinoise à hauteur de 270 millions de dollars.

Que faut-il retenir de ces deux annonces ?

D’abord, on peut à bon droit s’interroger sur la valeur ajoutée que les alliances amènent à leurs partenaires. Les frais d’entrée et les cotisations annuelles se montent à plusieurs millions de dollars sans compter les charges de mise en conformité des nouveaux entrants avec les chartes des alliances ce qui les oblige très souvent à de coûteux changements au sein de leurs entreprises. Je note d’ailleurs que les compagnies asiatiques ou africaines sont alors soumises à des règles dictées par leurs partenaires occidentaux alors que leurs cultures sont très différentes. Et puis, il faut rajouter à ces charges nouvelles, la participation aux innombrables réunions nécessaires à la cohésion de ces ensembles mondiaux et la création dans chaque compagnie membre d’une cellule plus ou moins étoffée, chargée de gérer les relations avec l’alliance à laquelle elle appartient.

Bon, en échange de ces dépenses, les compagnies retirent tout de même quelques avantages. Je dirais d’abord que le fait de pouvoir entrer dans l’une des trois grandes alliances est le gage d’une certaine fiabilité et que cela participe à l’image de marque de la compagnie adhérente. Mais ensuite, où sont les avantages économiques ? Certainement une plus grande facilité à passer des accords commerciaux entre des compagnies qui entretiennent une meilleure proximité. Mais il n’est pas besoin d’être membre d’une alliance pour créer par exemple des accords de "codeshare" avec l’un des partenaires. D’autre part les "Frequent Flyers Programmes" ne sont pas forcément partagés par tous les partenaires d’une même alliance, et, comme pour les "codeshares" les transporteurs non membres peuvent librement adhérer à tel ou tel programme.

Alors on me dira, que pour exister dans un marché mondialisé où les grands donneurs d’ordre que sont les très grandes entreprises veulent avoir très peu de fournisseurs, il vaut mieux être en mesure de proposer une offre la plus globale possible. En ce sens comme chacune des alliances couvre la quasi-totalité des pays industrialisés, il n’est pas inintéressant de se présenter devant ces grands acheteurs en tant que membre de l’une d’elles.

Mais enfin, on pourrait penser que les partenaires d’une même alliance seraient tenus à une certaine solidarité entre eux. Or il n’en est rien. La concurrence entre les compagnies est aussi farouche à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces ensembles. C’est bien d’ailleurs ce qu’Akbar Al Baker a marqué avec force. Et cela a dû lui coûter car il est tout de même le plus gros actionnaire d’IAG avec 21% des parts or ce groupe pèse très lourd dans OneWorld. Cela signifierait-il que le président de Qatar Airways n’a en réalité fait qu’une grosse menace et qu’il ne la mettra pas à exécution ? Voilà qui n’est pas certain car il possède une alternative : celle de construire sa propre alliance avec les compagnies dont Qatar Airways est actionnaire : IAG, bien évidemment, mais aussi Latam qui est l’union entre Lan Chile et TAM, Hong Kong Cathay Pacific et Air Italy dont il a acquis récemment 49% du capital. On se retrouverait ainsi dans la configuration d’alliance capitalistique telle que celle créée en son temps par feue Swissair appelée le Qualifyer Group qui n’a pas été un succès, c’est le moins que l’on puisse dire.

En fait , les compagnies aériennes sont à la fois moutonnières dans leurs analyses et très individualistes dans leurs comportements. C’est pourquoi les alliances, quoiqu’on ait pu en dire n’ont pas montré leur efficacité en dehors d’effets d’annonces commerciales tout de même impressionnants.

Qatar Airways envisage de quitter la sienne et China Southern en a pris la décision. A quand la prochaine défection ?

Jean-Louis BAROUX