Libéralisation du rail (1/5) – La France entre dans l’arène

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La France se conforme au calendrier imposé par Bruxelles pour libéraliser le secteur du ferroviaire, beaucoup plus tardivement que la plupart de ses voisins. La mise en concurrence sur les lignes domestiques françaises va être optionnelle dès ce mois de décembre sur le TER, possible dès début 2021 sur la grande vitesse, et expérimentée sur deux lignes Intercités probablement en 2022.

La France fait partie des pays ayant attendu le dernier moment pour introduire la concurrence sur ses lignes domestiques. Le Royaume-Uni a partagé son marché intérieur entre opérateurs privés dans les années 90 ! L’Italie a mis Trenitalia en concurrence avec Italo (NTV) en 2006. D’autres pays ont franchi le pas depuis quelques années tels l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, la République Tchèque… Tous ces marchés ont vu le trafic augmenter à mesure que l’offre progressait. Mais la concurrence s’est concentrée sur la grande vitesse dans certains pays, et sur le régional dans d’autres…

En France, les trains express régionaux (TER) s’ouvrent à la concurrence à compter de la fin de cette année. Cette mise en concurrence est optionnelle jusqu’en décembre 2023. Après cette date, les appels d’offres deviendront obligatoires pour toutes les régions, les «autorités organisatrices» des TER, dont elles confient aujourd’hui l’exploitation à SNCF. Ces appels d’offres porteront sur l’exploitation de tout ou partie de réseaux régionaux, dans le cadre de délégations de service public.

La réalité de la concurrence risque donc d’être rapidement très concrète pour la SNCF sur les lignes régionales. En effet, les nouveaux entrants auront à respecter un cahier des charges très précis, exploiteront les trains qui appartiennent aux régions, et connaîtront même à l’avance la marge qu’ils dégageront de leur activité, soit une prise de risque somme toute limitée.

Pour les lignes à grande vitesse, l’ouverture à la concurrence est fixée à début 2021. Un opérateur autre que la SNCF pourra alors faire circuler librement des trains dans l’Hexagone. Le ticket d’entrée sera toutefois élevé. Un concurrent devra régler péages et sillons, acquérir du matériel homologué pour circuler en France, recruter des personnels qualifiés…. Et la prise de risque sera d’autant plus grande que la SNCF ne cesse de se préparer à cette concurrence. Le risque sur la grande vitesse se vérifie d’ailleurs dans d’autres pays ayant déjà ouverts leurs marchés, tel l’Allemagne où aucun acteur n’a réussi à y défier sérieusement l’ICE de la DB.

La libéralisation du train en France dans le détail

1) Les TER. Les régions sont les autorités organisatrices des TER (pour transport express régional), dont elles confient l’exploitation à SNCF Mobilités. La mise en concurrence du TER est effective à partir de décembre 2019. Sur ces lignes dites subventionnées ou conventionnées (à la différence des lignes à grande vitesse), la SNCF va être rapidement confrontée à la concurrence dans trois régions. Grand Est va en effet l’expérimenter sur deux lignes (Nancy-Contrexéville et le secteur Bruche-Piémont-Vosges) en 2022. Les Hauts-de-France prévoient pour leur part des appels d’offre sur 20% de l’offre TER l’an prochain. Provence-Alpes Côte d’Azur est la plus engagée avec des procédures d’appels d’offres dès le printemps prochain, et prévoit de faire rouler les premiers TER non SNCF en 2022 sur la ligne Marseille-Toulon-Nice, mais pas avant 2024 sur les services « azuréens ». La région Pays de la Loire a de son côté lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) et enregistré pas moins de sept candidatures, des opérateurs ferroviaires Arriva, RATP Dev, SNCF Mobilités et Transdev, mais aussi les entreprises spécialisées dans le matériel roulant ferroviaire Alpha Trains, Alstom et Centrus. L’appel d’offres proprement dit est prévu pour 2021.

D’autres régions pourraient bien sûr décider elles aussi de lancer d’ici 2023 des appels d’offres pour l’exploitation totale ou partielle de leurs réseaux. La région Bourgogne Franche-Comté a en revanche fait marche arrière et finalement signé une Convention TER avec la SNCF fixant des objectifs communs pour les huit prochaines années. D’autres régions réfractaires à l’ouverture à la concurrence peuvent aussi attendre non seulement les trois ans avant que les appels d’offres ne deviennent obligatoires, mais également conclure avant cette date un nouveau contrat avec la SNCF. Comme ceux-ci sont d’une durée maximale de dix ans, cela pourrait ainsi permettre à la compagnie ferroviaire de conserver un monopole dans la région jusqu’en 2033…

2) Les Intercités. SNCF Mobilités exploite les «trains d’équilibre du territoire» (TET), connus sous le nom d’Intercités, dans le cadre d’une convention avec l’État, lequel joue le rôle d’autorité organisatrice (AOT). Comme pour les TER (avec lesquels ils sont parfois en concurrence), l’attribution des marchés se fera par appels d’offres. L’État a déjà décidé en janvier dernier d’en lancer un pour un lot de deux lignes : Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon. Une offre d’autant plus attractive que ces lignes seront rénovées et disposeront d’un matériel renouvelé, lorsque l’opérateur choisi (en 2021) démarrera l’exploitation probablement l’année suivante.

Les autres lignes restant à la charge de l’État feront l’objet de rénovations plus tardives, ce qui devraient repousser de quelques années leur mise en concurrence. Mais ces lignes ne seront bientôt plus que huit ! En effet, d’ici fin 2020, les régions auront repris dix-huit des vingt-six dessertes Intercités. Les huit lignes restantes sont réparties en trois ensembles : les lignes «structurantes» Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Bordeaux-Toulouse-Marseille ; les lignes «d’aménagement du territoire» Toulouse-Hendaye, Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux ; les lignes de nuit Paris-Rodez-Toulouse-Latour de Carol et Paris-Briançon.

L’ART (ex-Arafer), l’Autorité de régulation des transports, a récemment rappelé qu’elle veillera à ce qu’une saine concurrence s’installe sur ces lignes et ne porte pas atteinte à l’équilibre économique des contrats de service public. La cour des Comptes suggère pour sa part de supprimer les conventions – et donc les subventions – aux lignes structurantes et aux trains de nuit. Elle propose aussi de supprimer le mécanisme de financement de l’exploitation des trains Intercités après 2020.

3) Les TGV. Dès début 2021, des opérateurs privés pourront venir concurrencer en toute liberté la SNCF sur le réseau ferroviaire français à grande vitesse. A cette date va ainsi disparaître le monopole de l’opérateur historique sur ces lignes dites non subventionnées, qui n’entrent pas dans un contrat de service public. Chaque opérateur pourra alors faire circuler ses trains en « open access »… et se lancer à ses risques et périls. Ce qui n’empêche pourtant pas les prétendants de manifester déjà leur intérêt pour des lignes à gros volume telles Paris-Lyon, Paris-Lille ou Lyon-Marseille.

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