La mobilité face au droit (5/6) – Travail à l’étranger : suis-je un malade français ?

929
BCD Travel propose du travail nomade pour retenir et attirer les talents

Agnès Viottolo, avocate associée du cabinet Teitgen & Viottolo, nous a accordé une série d’entretiens sur le droit et la mobilité. Cinquième d’une série de six, cette interview porte sur le remote work. Mais on aurait pu aussi bien dire “work from anywhere”, ou “travail nomade”... Ce manque de fixation du vocabulaire montre la nouveauté du phénomène. Quelles problématiques juridiques soulève-t-il ?

“Remote work”, ça ne sonne pas trop “droit du travail”…

La mobilité face au droit (1/4) - Contrôler le travail effectif des salariés en déplacement, ça va changer radicalementAgnès Viottolo : Effectivement, ce n’est évidemment pas un terme juridique mais mes clients l'emploient de plus en plus souvent pour des situations variées. Pour certains, c’est du simple home-office permanent ou presque, mais pour la plupart, il y a une idée d'éloignement du lieu de rattachement professionnel du salarié. Soit c’est en France et, juridiquement, c’est assimilable au cadre du télétravail aujourd’hui bien maîtrisé. Soit c’est de l’étranger et dans ce cas, de nouvelles problématiques juridiques apparaissent. 

Tenons-nous en au cas du remote work à l’étranger. D’abord, observez-vous une recrudescence de ces situations ? 

Sans aucun doute, la période du Covid a été déterminante dans cette acceptation de la part des employeurs d’un travail 100% à distance et donc, potentiellement de l’étranger. Aujourd’hui, ce sont, dans la plupart des cas, des salariés qui s’installent à l’étranger pour des raisons généralement personnelles, notamment pour suivre leur conjoint. 

En quoi le fait de télétravailler de l’étranger change-t-il la donne juridique par rapport au home-office ?

Dans cette hypothèse, vont se greffer des problématiques qui relèvent du droit fiscal et du droit de la sécurité sociale, liées au principe de territorialité. La règle générale est la suivante : le salarié cotise et paye son impôt dans le  pays où il travaille au-delà de 183 jours glissants par an (il s’agit de jours calendaires : ni ouvrables, ni ouvrés, ndr). Concrètement, à partir du 184ème jour, le salarié va payer son impôt dans le pays d’accueil et il en sera de même pour ses cotisations sociales. En conséquence, il ne sera plus couvert par la sécurité sociale française mais par celle du pays où il travaille.  Je précise que nous ne sommes pas ici dans un cas du détachement… Dans ce cas, cette période de 183 jours devient 2 ans ou même davantage dans le cas d’une convention de sécurité sociale entre le France et le pays tiers.

Sachant que la couverture sociale française est davantage souhaitable que la plupart de leurs homologues étrangères, le détachement est donc une bonne solution, dès lors qu’une entreprise veut favoriser son salarié…

C’est certainement le raisonnement qu’a tenu un certain nombre d’entreprises sans être conscientes du droit. J’ai pu le constater. Mais le détachement postule que l’entreprise a une entité (filiale ou autres) dans le pays considéré. Comme je vous le disais, certaines entreprises ont détaché certains de leurs salariés de façon indue : leur salarié travaillait bien pour l’entreprise DE l’étranger, mais pas pour leur entreprise A l’étranger (en clair : pour la filiale du pays d’accueil). Dans les années 2020-2021, certaines de ces entreprises sont passées à travers les mailles du filet, pour des périodes courtes, d’un an ou moins. Le phénomène était, du moins par son ampleur, tellement nouveau, qu’il y a peut-être eu une certaine tolérance. Mais aujourd’hui, il ne faut plus y compter.

[C’est la raison pour laquelle BCD Travel ne propose du remote work à l’tranger que dans les pays où elle possède une entité juridique, comme nous le rapportions dans cet article]

Les autres articles de la série "La mobilité face au droit" (MFD) :

> MFD (1/6) - Contrôler le travail effectif des salariés en déplacement, ça va changer radicalement

> MFD (2/6) - Travailler dans le TGV, est-ce travailler ?

> MFD (3/6) - La mobilité, c'est tous les ans qu'il faut en parler en entreprise

>  MDF (4/6) - Bleisure : un saut dans le vide (juridique)