Le BT d’une crise à l’autre (4/8) : « La bonne stratégie : du cost cutting et de l’investissement » (Y. Weisselberger, SnapCar-LeCab)

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11 septembre 2001, Sras en 2003, tsunami en 2004, crise des subprimes en 2008, volcan islandais en 2010. Nombreuses sont les crises dont le business travel (BT) s’est relevé. Comment, dans celle que nous traversons actuellement, s’en inspirer ? Nous avons posé la question à des acteurs importants de l’industrie.

Pour le quatrième volet de cette série d’entretiens, Yves Weisselberger, entrepreneur, co-fondateur de Klee Group, de KDS et président de la plateforme VTC SnapCar – LeCab, il est aussi investisseur actif dans une vingtaine de jeunes entreprises de technologie.

C’est la crise succédant aux attentats de 2001 qui, d’après vous, est la plus comparable à celle d’aujourd’hui, en termes de business travel (BT)…

Yves Weisselberger : Oui, parce s’en est suivi un arrêt total du voyage pendant plusieurs mois, trois ou quatre peut-être. Puis il a fallu plusieurs années pour que, progressivement, le BT retrouve son niveau antérieur. En 2008, le BT n’avait chuté “que” de 25 à 30 %. En revanche, le rapprochement avec la crise des subprimes est plus pertinent en termes de choc économique, même si la récession est aujourd’hui incontestablement plus importante qu’à l’époque. Autre point commun : à chaque fois, on a l’impression que les habitudes, les façons de faire vont changer, qu’on voyagera moins, et à chaque fois le BT repart et poursuit sa croissance. Comme auparavant, les entreprises ne remettront pas durablement  en cause la nécessité de voyager. Je pourrais résumer mon état d’esprit ainsi : pessimiste à court terme, optimiste à long terme. Je fais le pari qu’en 2022, que le BT aura retrouvé son niveau et sera de nouveau en croissance.

Donc on attend deux ans et… business as usual ?

Il y aura des impératifs de sécurité sanitaire plus exigeants, qu’ils soient à l’initiative des entreprises ou par le renforcement des obligations légales, bien sûr. L’information du voyageur sur ses destinations ou sa géolocalisation seront des éléments plus importants encore. Mais tout cela, ce sont des tendances qui étaient en croissance constante depuis plusieurs années dans la politique voyage des entreprises (PVE), et il est vrai que cette crise va accélérer le mouvement. L’accélérer mais, donc, pas le créer. En revanche, les acteurs vont peut-être, et même certainement, changer car c’est l’occasion pour les entreprises innovantes, intelligentes, capables de traverser cette période de sortir plus forts.

Vous voulez dire que certains acteurs pourraient bénéficier de cette crise ?

Personne ne peut, à proprement parler, bénéficier d’un tel choc. Mais on constate qu’à chaque sortie de crise, il y a des gagnants et des perdants. En tant que business angel, je vois une incroyable capacité des dirigeants de ces jeunes entreprises, de tech notamment, à s’adapter très vite et faire naître de nouveaux plans pour l’avenir. Ce type d’entreprises agiles sortiront de cette période avec un leadership plus fort qu’auparavant. Au contraire, on peut s’inquiéter pour les entreprises qui ne pourront pas s’adapter, innover suffisamment pour des raisons structurelles, peut-être de gros réseaux d’agences de voyages ou certaines compagnies aériennes. 

L’agilité, c’est bien joli, mais ce qui va manquer le plus, dans les mois qui viennent, c’est l’argent…

Sans trésorerie, on ne peut pas tenir, c’est sûr. Mais même pour des grosses structures qui ont les reins assez solides pour traverser la crise, se transformer est nécessaire. Je lisais il y a peu un article dans la Harvard Business Review (Roaring out of recession, ndr). Il est intéressant à deux titres. Déjà parce qu’il nous ramène à cette comparaison entre crises : il date de 2010, est écrit dans le contexte de marasme économique post-subprimes, et on voit que les mêmes questions se posent qu’aujourd’hui. Son autre intérêt, c’est qu’il formalise très bien quels leviers sont activés par les entreprises qui s’en sortent le mieux en temps de crise. La bonne stratégie est un mix entre une prise en considération de la situation difficile par du cost cutting et une vision de l’avenir qui se traduit en investissements. Si l’action est exclusive – soit uniquement défensive, soit uniquement offensive, ça ne fonctionne pas.

Ça, c’est la théorie et, vous, en tant que chef d’entreprise, comment la rendez-vous pratique ?

Pour SnapCar-LeCab, depuis le début de la crise, tous les coûts sont regardés à la loupe dans une optique de réduction, nos services sales et opérationnels sont au chômage partiel. En revanche – et c’est la partie investissement sur l’avenir, notre service tech est au complet, on continue à développer. Dans la même logique, je viens de finaliser deux recrutements de cadres dirigeants très importants ; je ne les ai pas interrompus car ce sont des investissements sur des personnes qui vont nous permettre de renforcer l’équipe en talents. On a perdu 85 % de notre CA mais ce serait complètement inconséquent d’entrer en hibernation pour autant. En fait, il faut se concentrer sur ses clients : si ce qu’on fait est bénéfique, intéressant, profitable pour eux, il faut continuer malgré la crise. C’est une recette imparable.

Imparable ?

Oui, je l’ai vécu ! Parlons d’une autre crise, celle de l’éclatement de la bulle internet en 2000. Ça correspond aussi au décollage de KDS… On a cru en notre produit et il se trouve que cette crise a installé le concept d’online booking, de software booking tool. KDS en est sorti renforcée. Tout comme, par exemple, la compagnie aérienne Jetblue qui s’est installée après 2008. Cette crise sera, comme les autres, un accélérateur pour des offres adaptées : ce qu’a été 2008 pour Whatsapp, Slack ou Uber, cette crise le sera pour Zoom, par exemple. Et dans le BT, ce seront aussi des acteurs qui proposeront des produits innovants, digitaux, à distance, utilisant les possibilité de l’IA non pas pour remplacer l’humain mais pour lui fournir des outils pour le rendre plus performant qui gagneront des avantages concurrentiels.

Ces outils innovants, les imaginez-vous assez disruptifs pour changer notre façon de voyager ?

Les changements… Il y en a tout le temps et en même temps, il y en a moins qu’on le dit. Depuis des années, il y a des tentatives de désintermédiation. Le GDS, qu’est ce que c’est que cet objet à terme ? A contrario, la NDC – ce système de connexion directe entre les compagnies aériennes et les TMC – se développe, avec beaucoup de startups qui tournent autour. Ça peut connaître un coup d’accélérateur… Mais même les TMC sont en danger. Je relativise tout de suite : quand j’ai créé KDS, en 1996, on prédisait déjà la mort des agences de voyages (rires). Et, par ailleurs, il est aussi vrai que les TMC peuvent apporter de la valeur ajoutée en termes de duty of care et donc le contexte peut leur être favorable pour celles qui démontrent leur utilité, qui la transforment aussi.

Et on en revient à celles et ceux qui pourront s’adapter…

C’est ça !

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